Le jour où Nixon a fait interdire les chansons sur la drogue à la radio

Nous sommes à l’orée des seventies, une décennie charnière dans l’histoire de la musique contemporaine. Le mouvement hippie touche à sa fin et le rock, sous plusieurs formes, s’apprête à connaître un âge d’or. Pourtant, aux États-Unis, il va subir un frein violent. La faute au président Richard Nixon, qui dès 1970 interdit la diffusion radio des chansons faisant référence aux drogues.
  • Avant de se jeter à corps perdu dans la lecture de ce papier, un petit brin d’histoire ne sera pas de trop. Richard Nixon a été le 37e président des États-Unis de janvier 1969 à août 1974. En 1970, par l’intermédiaire de la FCC (« Federal Communications Commission » ou en français, « la Commission fédérale des communications ») et accompagné des gouverneurs de quarante États, il demande aux stations de radio de bannir des ondes les chansons qui font référence à la drogue — l’une de ses véritables obsessions. Une décision également motivée par de nombreux parents puritains, inquiets des messages que le rock véhiculait à leurs bambins.

    En réalité, cette censure prend racine dans la décennie précédente. Au cours des années 60, la FCC avait déjà commencé à déployer ses tentacules autour de certains morceaux de rock’n’roll qui développaient des thématiques considérées comme « indécentes ou obscènes ». Dans le livre Anti-rock: The Opposition to Rock 'n' Roll, ces sujets sont détaillés tout comme la méthode qui permettait de les identifier : 

    « Le sentiment anti-guerre, la conscience de classe et le racisme étaient les préoccupations politiques des jeunes, il était inévitable que ces idées soient abordées dans les paroles du rock. La consommation de drogues était au centre des expériences des adolescents et il était certain que les expériences liées aux drogues seraient décrites dans les chansons. Ainsi, un ensemble de mots – “stoned”, “high” ou “trip” – était scrupuleusement recherché. Leur utilisation suspectait de contenir un message qui valorisait la consommation de drogues. »

    Lorsque les années 70 pointent le bout de leur nez, les allusions aux substances interdites deviennent encore plus claires. À la façon du Thin White Duke, alter ego coké à la mort de David Bowie, le sujet se démocratise. Puis, entre 1970 et 1971, le monde du rock va perdre trois de ses légendes, Janis Joplin, Jimi Hendrix et Jim Morrison, tous emportés d’une overdose. La ligne de la FCC va se durcir en conséquence pour contrer le phénomène. Les menaces contre les stations de radios qui diffusent cette musique vont pour leur part s’intensifier. 

    Comme il est expliqué dans Anti-rock: The Opposition to Rock 'n' Roll, cette recrudescence de censure va se faire de façon totalement arbitraire, puisqu’il n’existe pas de règles claires pour déterminer ce qui est considéré comme « obscène » :

    « C’était à la FCC, aux responsables de la radiodiffusion, aux directeurs de programmes radio, aux directeurs de maisons de disques et à l’opinion des adultes de décider de ce qui pouvait ou ne pouvait pas être utilisé. […] Par le biais d’avertissements, de renouvellements de licence à court terme, d’amendes et de tracasseries administratives, la FCC pouvait pousser une station à l’effondrement économique. Par conséquent, plutôt que de provoquer la FCC, la quasi-totalité des propriétaires de stations et des directeurs de programmes s’en tenaient à la ligne ou, en d’autres termes, pratiquaient l’autocensure. »

    Cette menace de plonger les radios dans un bourbier économique et juridique va être directement reprise par l’administration Nixon. Dès octobre 1970, le président des USA invite à la Maison Blanche presque 70 radiodiffuseurs à une conférence sur l’abus de drogues. Lors de cette dernière, les auteurs du livre précédemment cité affirment que « Nixon n’avait pas l’intention de leur dire quoi diffuser, mais qu’il apprécierait leur coopération. » Vous avez compris : en gros, c'est un petit coup de pression à peine dissimulé.

    Quoi qu’il en soit, ce « Radio Act » fera sa première victime en 1972. C’est la station de radio WUHY-FM de Philadelphie qui va ouvrir le bal. Son tort ? Avoir diffusé une interview du guitariste des Grateful Dead, Jerry Garcia, dans laquelle il fait référence au sexe et aux… excréments. Une prise de parole qui coûtera 100 dollars à ladite radio, comme on le comprend dans ce document. Vous voulez un dernier détail ? La FCC a agi sans avoir reçu la moindre plainte d’un auditeur. « Liberté, liberté chérie ! » 

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