2021 M12 20
Comme pour beaucoup de projets fous, personne n’y croyait. Au début des années 80, la télé est en perte de vitesse, principalement chez les ados et jeunes adultes. Le groupe Warner entend bien reconquérir cette audience, en profitant de l’émergence du réseau câblé, ouvrant de nouvelles stations. Et c’est un étrange pari qui est alors fait : diffuser de la musique 24/24, sur le modèle d’une radio FM, mais adaptée à la télévision. Le clip musical n’a alors rien de nouveau, et Queen a déjà marqué les esprits avec Bohemian Rhapsody. Mais tout miser dessus n’a rien d’évident. Même les cinq VJ (pour video jockey) recrutés préfèrent conserver leur ancien job, tant l’avenir de la chaîne leur paraît incertain.
Pourtant, le feu vert est donné : le 1er août 1981, MTV commence à émettre. Les débuts ne sont pas simples. Il y a parfois de longs silences entre les morceaux, le temps d’insérer une nouvelle cassette dans le lourd dispositif. De plus, les annonceurs sont peu nombreux, et les coupures pub sont remplies d’images d’archive de la NASA pour compenser. Et surtout, il y a encore très peu de clips, et le contenu tourne donc vite en rond. D’autant que le modèle est clair : la chaîne ne produit aucune vidéo, c’est à la maison de disque de la fournir. Naturellement, ce sont des artistes hors des États-Unis qui vont d’abord les solliciter, y voyant un moyen simple de bâtir un premier succès, moins coûteux qu’une tournée. Ce sont donc des musiciens britanniques, australiens, néo-zélandais, qui inondent la chaîne.
Très vite, le miracle a lieu : on observe une corrélation directe entre le passage d’un titre sur MTV et une hausse des ventes en disque. Avec son parti-pris radical, la chaîne trouve son audience, et le succès s’installe. C’est le début de la « second British invasion », avec des groupes comme Duran Duran, Billy Idol, Eurythmics, Human League, Phil Collins, ou même David Bowie et Kate Bush. Leur point commun : des clips très colorés, bariolés, où le bon goût semble parti en exil. Comme le résume Bob Pittmann, fondateur de la chaîne : « Il n’y avait aucune règle ».
Mais une polémique entache cette belle histoire : les artistes noirs semblent purement et simplement écartés de l’antenne, même lorsqu’ils rencontrent un grand succès. David Bowie leur en fait même le reproche en 1983, dans une séquence restée célèbre. La justification de la chaîne : la ligne musicale est avant tout rock, et non pas reggae ou R’n’B. Un argument faible, qui s’effondre définitivement face à l’irrésistible succès de Michael Jackson, et le titre Beat It. Mais c’est bien sûr Thriller, et son véritable court-métrage, qui va propulser MTV et la forme clip au niveau supérieur. Désormais, des budgets conséquents sont alloués à ces projets. Et il devient inconcevable de produire un titre à succès sans lui joindre ce clip.
D’autant que le format est également propice à la publicité. Les marques s’y invitent facilement, et les films s’en servent également, à l’image de Flashdance ou Le Flic De Beverly Hills, qui intègrent carrément des séquences de clip. Le prestige est tel que certains réalisateurs construisent leur carrière dans ce domaine : David Fincher, Spike Jonze, Michael Bay ou le français Michel Gondry (qui s’y remet régulièrement, dont récemment avec Idles).
Il faut bien comprendre que MTV représente alors une avant-garde. Aujourd’hui, tout ce que produit la chaîne semble daté ; mais à l’époque, c’est une révolution. Même Andy Warhol vient y animer une émission d’interviews. En une poignée d’années, c’est tout le paysage musical qui s’en retrouve bouleversé. La chaîne possède sa propre esthétique, qui, petit à petit, devient celle des années 80 dans leur ensemble. Et encore aujourd’hui, les clips restent toujours un élément central dans la promotion d’un tube.
L’histoire est connue : le premier titre diffusé sur MTV a été Video Killed The Radio Star des Buggles. Et il faut bien admettre que ce programme s’est réalisé. Avec une certaine mauvaise foi, on pourrait pointer l’émergence des podcasts ; mais force est d’admettre que la vidéo est le format roi. En revanche, la télé n’y occupe pas le même rôle. Dès les années 90, on sent un premier essoufflement du clip. L’effervescence n’est plus là, tout devient plus contrôlé, trop cher, moins excitant. La chaîne compense en diminuant le nombre de clips, et en se diversifiant. Parfois avec succès, comme avec les dessins animés Daria ou Beavis et Butthead, et surtout avec la télé-réalité, via les émissions Pimp My Ride, Jackass et Les Osbournes.
Surtout, l’émergence d’Internet rend l’idée même de chaîne musicale obsolète. L’arrivée de YouTube, puis du streaming, amène un nouveau bouleversement, que MTV ne peut pas suivre. Et alors que l’on nage encore dans la révolution de l’image qu’elle a entamé, rien n’a véritablement survécu de l’âge d’or de la chaîne, si ce n’est quelques sessions Unplugged. Et beaucoup de souvenirs.