Reportage : au festival Eurosonic, chez le cousin européen du Coachella

Du 18 au 21 janvier, la Hollande accueillait la 37e édition du festival Eurosonic. Jack y était et vous raconte comment tous les ans à la même période, la petite ville de Groningue devient l'épicentre de la musique européenne.
  • Groningue, 200 000 habitants au compteur dont une bonne partie d’étudiants, dispose d'un nombre très élevé de salles de concert par rapport à sa taille. La légende raconte que ces lieux accueillant des spectacles vivants ont fleuri au siècle dernier pour contrer une législation intransigeante avec la vente d’alcool. Quoi qu’il en soit, il faut avouer qu’il règne une certaine ivresse dans cette petite ville lorsque le festival Eurosonic bat son plein. En même temps, il y a de quoi être euphorique. Pendant quelques jours, cette bourgade située à 2 heures d’Amsterdam en train devient littéralement le théâtre de la musique européenne.

    Cette année, du mercredi 18 au samedi 21 janvier, pas loin de 350 groupes issus de toute l’Union ont donné des showcases devant un public formé à la fois d’amateurs de musique et de gens de la profession. En termes de chiffres, pour cette 37e édition, l’ESNS23 a accueilli plus de 40 000 visiteurs et quelque 4 250 pros venus de plus de 50 pays. Un carton plein, comme l’explique le directeur de l’événement, Dago Houben :

    « Cette édition a abordé tant de sujets connexes et a présenté un line-up si diversifié et exceptionnel de talents européens. Nous sommes revenus plus forts que jamais, avec un grand nombre de nouveaux visiteurs et une édition du festival et des conférences à guichets fermés. »

    Vous l’aurez compris, pendant ces jours de fête, l’exploration est le mot clef. Que l’on travaille ou non dans le milieu, tout le monde est là pour aller écouter des musiciens qu’ils ne connaissent pas ou peu. Cette espèce de jeu de piste fait entièrement partie des habitudes de Mathieu Fonsny, programmateur du Dour Festival et du Fifty Lab :

    « Ici, il y a deux choses. D’abord, on retrouve les copains, qu’on fasse ou non le même métier, et on peut échanger plein d’idées. Aussi, il y a ce plaisir de découvrir des groupes. Pour le festival de Dour, on est presque à la fin de notre programmation, mais on garde toujours en réserve quelques spots pour les dernières surprises qu’on pourrait avoir à Eurosonic. »

    Pour faciliter ces croisements culturels et ainsi voir des artistes originaires d’un pays se produire dans un autre, l’Union européenne veille au grain. Ou plutôt, disons qu’elle n’est pas avare en subventions. C’est ce qu’explique Kem Lalot, programmateur des Eurockéennes de Belfort, croisé au hasard d’un concert :

    « On fait partie d’un programme qui s’appelle “European Talent Exchange Programme”. On reçoit donc des aides pour booker des artistes. On doit en contrepartie respecter certaines consignes. Il faut évidemment que les trois groupes sur lesquels on a des vus ne viennent pas de notre pays d’origine et qu’ils soient issus de nationalités différentes. »

    Au terme de ce premier soir fort en talents, notre petit doigt nous dit qu’il ne serait pas impossible de voir Heartworms, menée par la jeune Jojo Orme, tourner comme une toupie pendant les différents festivals de l’année. Une aubaine pour la Britannique qui sortira courant mars, « A Comforting Notion ». Un premier EP piloté par les Londoniens de Speedy Wunderground, label qui depuis 2013 dessine les contours de l’indie-rock d’outre-Manche.

    Afin d’accentuer encore ce côté cérémonial et cette notion d’exception culturelle européenne, l’ESNS propose chaque année un concours. Organisé le deuxième jour du festival et baptisé Music Moves Europe Awards (MME), il réunit 15 artistes venus de différents pays. Cette année, les Français de Kids Return faisaient partie de cette sélection. En amont du show, nous retrouvons en coulisses Adrien Rozé et Clément Savoye, les deux amis fans de François de Roubaix qui forment le groupe.

    « On n’était pas du tout au courant, puis notre tourneur nous a avertis qu’on était nominé au MME Awards en plus de faire le festival ; se lance Clément. En arrivant ici, on s’est pris le truc de plein fouet : “ah ouais en fait c’est cool ! C’est un groupe par pays. C’est un concours prestigieux.” Quand tu vois les artistes qui ont gagné les dernières années, c’est assez impressionnant : Adele, Dua Lipa, Fontaines D.C., Rosalia… » Malgré cela, ni lui ni Adrien ne semblent stressés. À l’inverse, ils espèrent repartir avec un petit quelque chose.

    Lorsque nous les retrouvons à la fin de la cérémonie et de leur concert, la paire est heureuse. En plus d’avoir pu présenter sur les planches leur attachant album « Forever Melodies » (2022), ils ont remporté un prix. « Même si au début, je faisais genre que je m’en foutais, quand on était assis sur les sièges avec les autres artistes, je me disais : “non, mais il faut qu’on l’ait quand même, ça serait trop la honte sinon !” » rigole Clément. « Puis derrière on a pu faire un concert sympa, plus court et avec moins de prise parole que d’habitude. C’était super et il y avait plein de monde » raconte Adrien.

    Outre Kids Return, la scène française (et francophone) était plébiscitée. Diversifiée, elle a offert un live de November Ultra dans un adéquat piano/voix au cœur d’une église, une performance agitée du Suisse Varnish La Piscine, un récital du super groupe QuinzeQuinze et de la jeune ELOI, ainsi qu’un shoot d’adrénaline fourni par le fulgurant nelick. À sa sortie de scène, à chaud, le rappeur a donné ses impressions :

    « C’était le premier concert de ma tournée et ça fait du bien de commencer ce nouveau live. C’est vraiment très formateur. Tu es devant des gens qui ne sont pas du tout là pour toi et qui ne te connaissent pas. C’est “bon” de leur proposer un show qui n’est pas facile : c’est-à-dire où tu envoies juste des tracks et où tout le monde se met à chanter. »

    Après ce genre d’énorme fête, difficile d’affirmer que l’Europe n’est pas un vaste vivier d’artistes. De l’Écosse des punks de VLURE au Pays de Galles de The Bug Club, de la Suède du quatuor Girl Scout à la Grèce du crooner Johnny Labelle et de Σtella… les scènes locales continuent de s’organiser pour créer leur propre musique et ainsi faire rayonner leurs cultures bien au-delà des frontières de leur pays. En voilà une bien belle allégorie pour décrire les trois jours passés ici.

    Crédit photo en une : Kids Return par Bart Heemskerk

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