2022 M03 6
Créer de la musique sans instrument, c’est possible, et cela s'appelle : le beatbox. Avant que cette forme artistique ne soit labellisée ainsi, il faut sacrément rembobiner. Si on revient aux origines de cette pratique, c’est-à-dire de musicalité avec la bouche, on peut prendre en point de départ la culture inuit. Entre le dialogue, le jeu et le duel, les femmes imbriquaient des motifs rythmiques qui se répondaient. Le but était de tenir le plus longtemps possible, sans perdre le fil. Ensuite, il faut changer de continent pour arriver en Afrique du Sud et se raccrocher aux langues zoulous, très percussives. Là encore, la notion de rythme est centrale.
Continuons le voyage temporel pour se poser cette fois dans une période plus contemporaine. Dès le XIXe siècle, cette manie de reprendre des instruments avec la bouche a fait son bonhomme de chemin. Puis certaines figures majeures ont fait avancer le schmilblick, à l’image d'Ella Fitzgerald. Mais l’instigateur du beatbox qu’on pourrait qualifier de « moderne » est sans nul doute Bobby McFerrin. Vous ne l’aviez peut-être pas remarqué, mais sur son célèbre Don’t Worry, Be Happy (1988), il n’y a aucun instrument. Malgré cela, on ne peut pas affirmer à 100 % que ce morceau en soit complètement un, de beatbox.
En réalité, la discipline va concrètement naître avec l’arrivée du hip-hop, et un groupe en particulier, les Fat Boys. Ces trois Américains originaires de Brooklyn – Mark Morales aka « Prince Markie Dee » (1968-2021), Darren « Buff Love » Robinson (1967-1995) et Damon Wimbley alias « Kool Rock-Ski » – sont officiellement reconnus comme les pères du beatbox. Comme pour chaque discipline, celle-ci a évolué grâce à des artistes inspirés, qui ont innové dans leur façon de pratiquer. Parmi eux, il y a notamment eu Doug E Fresh, qui a inventé le « click roll », cette façon d’imiter des claquettes avec la langue.
Mais si on doit retenir un homme pour son apport au beatboxing, c’est sans aucun doute le New-Yorkais Rahzel, ancien membre de The Roots. Dès le début des années 90, et ce, pour toute la décennie, cet artiste a dominé son art. Connu sur ses terres, sa réputation s’est exportée jusqu’à la France, où l’on a pu entendre ses scratches vocaux sur le morceau Dangereux d’IAM en 97. Deux ans plus tard, il sort « Make The Music 2000 », un disque qui s’est retrouvé sur toutes les tables de chevet des beatboxers en herbe. Rempli par toutes les techniques alors connues, cet album a tout d’une Bible pour les fanatiques de la discipline. Sur un des tracks (caché), The 4 Elements, Rahzel va même introduire au grand public Kenny Muhammad, le futur crack de ce domaine.
Dans une interview que le beatboxer français Faya Braz accordait à Lerapenfrance, il soulignait l’importance de ces deux artistes : « 80 % des techniques de beatbox aujourd’hui sont des dérivés du savoir-faire de Kenny Muhammad et Rahzel. » Dans leur sillage, se glisse un Anglais répondant au nom de Killa Kela. Comme ses confrères, lui aussi va instiguer de nouvelles approches, notamment cette façon de faire des scratches, qui sera reprise par Sly « The Mic Buddah » du collectif Saïan Supa Crew — les premiers frenchies à avoir une reconnaissance conséquente dans le milieu.
De moins en moins confidentiel avec le temps, le beatbox s’est structuré et il existe même depuis 2009 une compétition mondiale, le Grand Beatbox Battle. En glanant un nombre important de trophées dans plusieurs catégories, la France s’est imposée comme un chef-lieu de la discipline. Mais en 2019, cette série de victoires s’est arrêtée avec Rythmind (du quatuor Berywam), après une finale acharnée.
Finalement, pour l’édition 2021, les Bleus ont perdu leur titre dans la catégorie reine après 3 ans de sacre. La Belgique tient sa vengeance, puisque c’est elle qui cette année a ramené la coupe à la maison. Cette performance a été signée par Martin Geunens, allias Supernova, un beatboxer né dans le Plat Pays, qui pourtant habite à… Orléans. Du coup, cela ne voudrait pas dire que c’est encore chez nous que le trophée va rester ? Allez, sans rancune.