En concert, la Gen Z préfèrerait les stars, les grandes salles et... son smartphone

Au Printemps de Bourges, le CNM (Centre national de la musique) a présenté une étude de son "CNMlab" sur le rapport qu'entretient la fameuse Génération Z (les 13-26 ans) avec la musique live. Et certains de ses éclairages sont particulièrement édifiants.
  • Disons les choses clairement : l'industrie des concerts s'inquiète du vieillissement de son public, qui ne se renouvellerait pas assez. La note de réflexion du sociologue Loïc Riom le mentionne dès ses premières lignes, et c'est sans doute ce qui a déclenché sa publication.

    « Alors qu’aussi bien les festivals que les concerts de musiques actuelles ont pendant longtemps été associés à la jeunesse, l’avènement d’une nouvelle génération de consommateurs et de consommatrices — la  Gen Z  — suscite des questions sur leur rapport à la musique live. Sur fond d’innovation technologique et de la crise de la COVID-19, une partie des acteurs et des actrices du secteur s’interroge sur le renouvellement de leur public et de la transformation des habitudes de consommation des 13-26 ans. »

    Un chiffre inquiétant vient appuyer cette inquiétude : selon un sondage réalisé par Harris Interactive pour le Prodiss en octobre dernier, 44% des 15-24 ans ont prévu de fréquenter moins souvent qu'avant la crise sanitaire les spectacles live. C'est énorme, et c'est à la fois plus que la moyenne déjà très importante de la population (32%) et supérieur d'au moins dix points aux réponses de toutes les autres tranches d'âge.

    Sur les raisons avancées pour expliquer cette désaffection, l'étude n'offre malheureusement que des réponses pour toutes les classes d'âge confondues, mais elles sont quand même intéressantes : 48% des personnes interrogées mettent en avant le manque d'argent, et l'on peut imaginer que ce chiffre est largement supérieur chez les jeunes, plus touchés que les autres par l'inflation.

     

    Cela, on le savait déjà un peu, surtout compte tenu de l'augmentation des prix des places, notamment pour les concerts des têtes d'affiche. Mais ce qui est intéressant, c'est que ces tarifs n'incitent pas forcément les jeunes à se reporter sur des artistes plus modestes, bien au contraire.

    Les grandes salles et les stars plébiscitées

    Un peu plus loin, on comprend mieux pourquoi toujours selon le CNM, les concerts dans les grandes salles (5000+ places) étaient les seuls à être en hausse (+19%) l'an dernier, contre -26% pour les moyennes (1000-5000 places) et même -38% pour les petites (-1000 places) :

    « À cela s’ajoute une appétence de la Gen Z pour les grosses jauges (arénas, stades, etc.) et les têtes d’affiche, notamment internationales, dans un contexte où ils tendent par ailleurs à revoir à la baisse leurs sorties. »

    Et en effet, selon ce même sondage Harris Interactive cité par le CNM, les 15-24 ans sont de très loin la tranche d'âge la moins attirée par les petites salles (26% contre 36% pour la moyenne de la population). À l'inverse, la Gen Z plébiscite plus qu'aucune autre catégorie d'âge les grandes salles, à 49% contre 38% pour la moyenne de la population.

    Corollaire logique de cette préférence, les 15-24 ans indiquent préférer d'abord les "artistes connus au niveau national" (30%) et ceux de "renommée internationale" (23%). Une tendance confirmée par Loïc Riom :

    "Une large partie des artistes cités au cours des entretiens menés par le CNM sont des artistes internationaux, notamment américains et coréens".

    Néanmoins, une minorité courageuse (20%) déclare préférer les artistes peu connus du grand public. C'est plus que toutes les autres tranches d'âges et 9 points de plus que la moyenne générale.

    Des concerts sur Fortnite ?

    Mais selon la publication du CNM, la Gen Z est aussi plus tentée que les autres par… les concerts à distance :

    « Différentes études montrent une certaine appétence de la « Gen Z » pour ces nouveaux formats. Selon l’Étude prospective sur le marché du livestream musical en France, les jeunes sont plus consommateurs de livestream que la majorité des Français et Françaises. De la même manière, l’étude "Les Français et les spectacles vivants" souligne que les jeunes sont davantage tentés par l’expérience d’un concert dans le métavers (50 %) ou en réalité augmentée (52 %). »

    Certains témoignages recueillis par Loïc Riom illustrent cette tendance : "Kingsley (25 ans en 2022) a vu en différé des extraits du concert de Travis Scott sur Fortnite. Il a trouvé ce concert impressionnant et spectaculaire : « C’était vraiment lui, sa musique. »".

    Le même Kingsley "reproche aux artistes d’être dans la « fame » et de se produire dans de grandes salles uniquement pour « prendre de l’argent ». Pour Kingsley, l’expérience d’un concert n’est pas satisfaisante : « trop de gens », « trop cher », « trop loin de l’artiste ». Il préfère regarder du contenu audiovisuel sur Internet, notamment YouTube ou des « lives Insta ». Il s’y sent plus proche des artistes. Il juge que les artistes sont plus vrais sur les réseaux qu’en live."

    Dix ans plus jeune, Lara affirme elle carrément ne pas avoir envie de mettre les pieds dans une salle : "elle, explique que ses amis lui ont raconté des expériences de concert, mais elle n’était pas intéressée, car elle n’apprécie pas l’ambiance et pense qu’il y a trop de gens."

    Des smartphones chevillés au corps

    Enfin, le CNM note "une forte relation des jeunes au digital, avec une médiation très forte de leur consommation par le numérique, et notamment le smartphone avant (écoute de musique, renseignements sur le programme, réservations, etc), pendant (stories, partage avec les autres fans, avec l’artiste, etc.) et après le concert."

    Cette omniprésence des smartphones des plus jeunes fait même dire à Loïc Riom que "le smartphone et les réseaux sociaux sont devenus des « prothèses » incontournables des concerts. Ces nouveaux équipements renseignent, guident, prescrivent, documentent. Ils laissent imaginer également d’autres formes d’expérience de la musique live, dont les plus jeunes sont à tort ou à raison considérés comme les premiers adeptes."

    Bref, les habitudes de la Gen Z n'ont pas fini de mettre au défi les concerts, sommés de s'adapter pour survivre à un "hypothétique découplage entre concerts de musiques actuelles et jeunesse en train de s’opérer". L'industrie des festivals peut quant à elle se rassurer : selon le sondage Harris Interactive, 36% des 15-24 ans préfèrent les festivals aux concerts, un pourcentage qui explose celui de la population générale (16%).

    Crédit photo : Randgruppe / 316 images

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