"Hail to the Thief" : l’album détesté de Radiohead fête ses 20 ans

Le sixième album des Britanniques, qui est sorti le 9 juin 2003, est sûrement le pire de leur discographie. 20 ans plus tard, il est toujours trop long et peu inspiré.
  • Il faut s’imaginer la scène pour comprendre l’échec de « Hail to the Thief ». On est en 2003. La guerre en Irak a commencé en mars. Les cendres des tours jumelles sont encore tièdes. Le leader de Radiohead, qui est devenu papa d’un petit garçon, Noah, ne comprend pas le monde dans lequel il vit. Le réchauffement climatique, qui devient un sujet de société et d’angoisse brûlant, n’aide en rien Thom, qui s’inquiète pour les générations à venir et pour le monde qu’il laissera à son fils. En 2003, Radiohead sort aussi de trois années intenses, lors desquelles le groupe a pris le temps de peaufiner deux disques électroniques et expérimentaux — « Kid A » et « Amnesiac » — en ouvrant un nouveau chapitre sonique. Ils sont rincés et, sans grande surprise, à court d’idées.

    Mais ils ont un dernier album à réaliser pour conclure leur contrat avec Parlophone. Pour « finir en beauté », les Anglais décident même de remettre les pieds dans la machine médiatique de l’industrie : interviews, plateaux de télévision, couvertures de magazines. Un dernier grand tour, pour la route. Le premier problème, c’est qu’il se fait avec « Hail to the Thief ». Le deuxième : Radiohead — et notamment Thom Yorke — déteste la promo et les tournées à rallonge.

    Contrairement aux autres disques de Radiohead, « Hail to the Thief » a été enregistré en l’espace de deux semaines, à Los Angeles, un endroit que Thom Yorke n’apprécie pas particulièrement. Le groupe n’avait pas le courage de repartir dans un cycle long pour créer cet album. Un choix surprenant quand on connaît le perfectionnisme de Yorke, capable de passer des semaines sur un seul morceau.

    Bref, Radiohead, avec Nigel Godrich à la production, se terre dans l’un des studios du Ocean Way Recording, à Hollywood, et parvient à avancer jusqu’à avoir 14 chansons potables. C’est trop. Surtout que la plupart, improvisées au jour le jour, sont insipides et sonnent comme un groupe à bout de souffle, qui se répète sans y croire (Backdrifts, Where I End and You Begin, The Gloaming, Myxomatosis, etc.). Sur Sit Down, Stand Up, Yorke répète 46 fois la phrase « The rain drops », juste parce qu’il aime comment ces mots sonnent dans sa bouche. Certains mixes des premières sessions, réalisés à la va-vite, sont gardés sur les versions finales. Résultat : l’album est mis en boîte rapidement mais il est trop long - 14 chansons -, et extrêmement fade. Résultat (bis) : le groupe perd la confiance. 

    Rapidement après la sortie de l’album et la fin de la tournée - à Coachella, en mai 2004 -, les gars de Radiohead se rendent compte qu’ils ont fait une connerie. Déjà, ils n’ont pas pris le temps de se poser et de réellement discuter de l’album - certains morceaux étaient à moitié écrits et à moitié composés au moment de les enregistrer. Ensuite, Thom Yorke raconte aux médias qu’il voudrait changer la moitié de l’album et que, s’il le pouvait, il supprimerait pas mal de morceaux de la tracklist finale.

    Enfin, le groupe n’a pas eu l’impression d’avoir fait des progrès, ni d’avoir avancé dans la même direction sur cet album. Cerise sur le gâteau, le retour à la « vie normale » après la tournée est un enfer pour Yorke, qui déteste d’ailleurs passer des mois sur la route et les concerts dans les grandes salles de 20 000 personnes. Bref, Radiohead traverse une crise rock de la trentaine : est-ce un âge où l'on devient has-been ou a-t-on les ressources pour s’en sortir et continuer d’avancer ?

    En 2004, pour stopper le mode « autopilote » dans lequel le groupe se trouve, l’idée est de retourner vite en studio en reprenant leurs bonnes vieilles habitudes. Mais ils n’y arrivent pas. C’est donc le moment de faire une longue pause. Un break de presque quatre ans avant un retour en force avec « In Rainbows » en 2007. Et quand Radiohead revient, la crise est passée, le marché de la musique a changé et les Anglais ont repris du poil de la bête. « Hail to the Thief » restera la B.O. chaotique de cette période compliquée où le succès et le système - comprendre la machine à broyer qu’est l’industrie musicale - avait pris le dessus. L’important ici est qu’ils ne se soient pas embourbés dans une mauvaise spirale qui aurait pu être fatale pour Radiohead.