Au fait, que valent vraiment les albums solo de Keith Richards ?

Alors que l’album « Main Offender » du guitariste immortel des Stones ressort pour fêter ses 30 ans en mars, replongeons-nous (rapidement) dans la discographie solo de Keith.
  • Est-ce qu’à chaque anniversaire où l’on tombe sur un chiffre rond, il faut envoyer un disque à l’usine de pressage pour une réédition ? La réponse logique serait de dire non. La réponse de l’industrie musicale, évidemment, est tout autre. Et si les anniversaires sont une bonne occasion pour célébrer un album ou donner envie au groupe ou à l’assiste de repartir en tournée, il n’est pas toujours pertinent, voire nécessaire, de rééditer ledit album. Surtout quand il s’agit des trois disques solo de Keith Richards.

    En 1986, les Rolling Stones sont à deux doigts de raccrocher les gants. Trois raisons : le groupe sort l’un de ses pires albums (« Dirty Work »), Charlie Watts est en plein dans l’héroïne et Mick Jagger a pondu un disque solo faussement féministe (« She’s The Boss ») en 1985 sans vraiment rien dire aux autres, et semble bien plus intéressé par sa carrière solo et ses vacances à Paris. Bref, à l’instar de l’équipe de France en 2018, le groupe « ne vit pas très bien ». Durant cette période trouble où chacun a l’air s’occuper de ses affaires de son côté, Keith Richards décide à contrecoeur de s’atteler à un premier album tout seul, comme un grand. Dès 1987, tout le monde pense que les Stones vont se séparer. Les journalistes posent sans arrêt la question à Keith. Mais lui s’en tape. Dès février 87, il répète avec un certain Steve Jordan (ancien musicien de Stevie Wonder et présent lors des sessions de « Dirty Work », et qu'on retrouvera en 2021 avec les Stones après le décès de Charlie). Keith est à la guitare, Steve à la batterie, et les deux s’entendent musicalement bien. En juin 87, Richards signe un contrat avec Virgin Records pour deux albums. Sa seule condition avant de prendre le stylo : qu’on lui foute la paix durant l’enregistrement. 

    Keith a près de quarante chansons d’écrites, mais ce ne sont que des démos. Pour qu’elles prennent de l’ampleur, il a besoin de s’entourer d’autres musiciens. Petit a petit, un groupe se forme avec le guitariste de studio Waddy Wachtel (qui a bossé avec Stevie Nicks, Iggy Pop, les Stones ou encore Bryan Ferry), le bassiste Ivan Neville et le claviériste Charley Drayton (Miles Davis, Herbie Hancock, Bob Dylan, etc.).

    Il renomme son groupe les X-Pensive Winos et dès la première semaine en studio à Montréal, 7 morceaux sont mis en boîte. Il invite aussi des potes à venir jouer sur l’album comme l’ancien Stones Mick Taylor, Bootsy Collins (Parliament-Funkadelic) ou encore le saxophoniste Maceo Parker (James Brown, Prince, etc.). Il y a donc du beau monde autour de Keith, mais l’album « Talk is Cheap », qui sort en mai 1988, n’a rien de très convaincant. Make No Mistake sort du lot, probablement parce qu’elle s’éloigne du rock. Mais pour le reste, à part le petit pic à Mick sur le titre You Don't Move Me (« tu ne me transportes plus comme avant » ; « pourquoi crois-tu que tu n’as plus d’amis ? »), Keith reprend les vieilles recettes des Stones pour servir ce qui ressemble à du réchauffé. 

    Keith s’amuse tellement loin des Stones qu’il songe vraiment à se barrer du groupe. Il retrouve Mick à la Barbade (aux Caraïbes) et au lieu de lui dire qu’il se tire, les deux finissent par se réconcilier et même par faire un nouvel album (« Steel Wheels » en 1989). Trois ans plus tard, et après avoir co-écrit une chanson avec Tom Waits (That Feel), Keith et les X-Pensive Winos sont de retour. Le guitariste s’installe dans un appart à New York avec Steve Jordan et comme pour le premier album, c’est ce duo qui s’attelle à l’élaboration des chansons. « Main Offender » débarque en 1992 et se détache des codes du vieux rock un peu usé pour s’aventurer sur d’autres chemins.

    On sent clairement une forme de lâcher prise sur ce disque, une envie de simplement faire de la musique sans vraiment chercher à convaincre, à rendre des comptes ou à reproduire des vieilles méthodes. Wicked As It Seems, Hate It When You Leave ou encore Yap Yap : ces chansons ont une certaine « coolitude » dans leur attitude, et ressemblent plus à des potes qui jamment qu’à un groupe qui cherche précisément à faire un album. Mission réussie pour Keith, qui fait la promo de ce disque et part en tournée avec ce qu’il considère comme le « meilleur groupe du monde ». Mais KR est un avant tout un Rolling Stones, et il retourne auprès de son groupe pour la suite de son aventure, embarquant avec lui Darryl Jones (des X-Pensive Winos) pour le disque « Voodoo Lounge » suite au départ de Bill Wyman.

    Sauf qu’en 2015, 23 ans après « Main Offender », Keith et son groupe reviennent avec « Crosseyed Heart », un album qui là aussi mêle le blues (Blues in the Morning), le rock (Trouble), la country (Robbed Blind) et le reggae (Love Overdue). Le guitariste a pris le temps de se poser un peu, d’écrire un best-seller (Life, ses mémoires) et de profiter de ses petits-enfants. Un avant-goût de la retraite avant de reprendre du service, puisque sa vie à lui, ça reste le rock. Et ce retour solo se fait en reprenant là où cette bande s’était arrêtée. Les mêmes loustiques sont là, les instruments n’ont pas changé, les chansons sont enregistrées sur des bandes analogues et l’esprit - celui de simplement faire de la bonne musique sans se prendre le chou -, est toujours ce qui anime Keith. Mais contrairement aux deux albums précédents, ils n’ont pas d’impératifs, et peuvent donc prendre le temps de peaufiner ce disque comme ils veulent, sans pression.

    Là où Mick Jagger a cherché à plaire en essayant de coller à son époque, Keith est toujours resté fidèle à ses amours. C’est la principale différence entre lui et son ami de toujours. Alors certes, Richards n’invente rien et ne prend quasiment aucun risque. Mais ces trois albums solos permettent de comprendre d’où il vient, ce qu’il est (un bon guitariste, un inventeur de riff, un rockeur dans l’âme) et ce qu’il sera peut-être finalement toujours : un excellent chanteur à temps partiel sur les disques des Stones (réécoutez Thru and Thru sur « Voodoo Lounge »...), mais un musicien indissociable de ses associés, les Stones.

    L'album « Main Offender » de Keith Richards ressort le 18 mars prochain