Qui es-tu Picture Parlour, toi le nouveau girls band validé par Courtney Love ?

Après Wet Leg et The Last Dinner Party, voilà un nouveau girls band venu d'Angleterre. Hélas, la nouvelle sensation est déjà victime de misogynie, et ce phénomène qui ne doit rien au hasard interroge sur la différence de traitement entre les musiciens et les musiciennes qui débutent.
  • Aucun pays au monde ne s'enflamme davantage pour ses nouveaux groupes que l'Angleterre. La recherche permanente de la "next big thing" est quasiment une religion au pays des Beatles, mais cette propension à l'emballement implique forcément des excès. On porte au pinacle des groupes qui n'ont encore rien prouvé, et on est aussi prompt à les enfoncer sans raison valable, simplement parce qu'on n'adhère pas à la hype du moment.

    Katherine Parlour et Ella Risi l'ont appris à leurs dépens. Après une rencontre sur les bancs de l'université de Manchester, elles ont commencé à jouer de la musique ensemble avant de tenter leur chance à Londres, où elles ont recruté sur Facebook une bassiste et un batteur. Pendant des mois, ce quatuor a répété inlassablement avant de jouer son premier concert en décembre au Windmill, une salle londonienne mythique pour tout jeune groupe indé qui débute.

    En partant de là, tout s'enchaîne. Le bouche à oreille fonctionne à plein, et le public se bouscule pour assister aux concerts réputés mémorables de ce groupe mené par une chanteuse à la voix puissante (Katherine Parlour), ouvertement influencée par Nick Cave et Patti Smith. Les fans doivent enregistrer des vidéos artisanales pour combler l'absence totale d'enregistrement studio. Colin Greenwood de Radiohead est aussi aperçu en train de dire le plus grand bien du groupe.

    Et au mois de mars, Courtney Love partage sur son compte Instagram son enthousiasme pour Picture Parlour après avoir assisté à un de ses concerts au Windmill. Les médias spécialisés commencent à se pencher sur le groupe et il y a deux semaines, il se retrouve sur la couverture (virtuelle) du NME, un privilège décerné chaque semaine aux artistes émergents. Il n'en fallait pas plus pour que la machine infernale de Twitter s'emballe.

    Dans une époque où la notoriété ne se mesure qu'en chiffres sur les réseaux sociaux – et pas en vrais concerts sold-out, au hasard –, le faible nombre de followers de Picture Parlour déclenche des suspicions. Comment ce groupe peut-il se retrouver en une du NME après seulement six mois de concerts et alors qu'il n'a encore rien enregistré ?

    Les théories conspirationnistes se multiplient : les membres du groupe auraient couché avec des producteurs (classique) et on leur invente des parents qui seraient des footballeurs célèbres. Pour cette accusation d'être des "nepo babies", c'est raté : la mère d'Ella (la guitariste) est femme de ménage, et le père de Katherine est un ouvrier à la retraite.

    On a aussi lu que les membres de Picture Parlour étaient en une du NME grâce à plusieurs privilèges : leur jeunesse, leur couleur de peau et leur physique. Il est incontestable qu'il y a des inégalités systémiques – de l'âgisme, du racisme, du classisme, du sexisme – dans l'industrie musicale comme dans le reste de la société.

    Mais accuser Picture Parlour de plantes vertes n'en demeure pas moins profondément misogyne. Et à propos de plantes, comme certains sont persuadés qu'il y a forcément un complot, ils affublent Picture Parlour de l'étiquette qui a été collée sur quasiment tous les groupes anglais menés par des femmes ces dernières années.

    Comme Tramp Stamps, Panic Shack, Wet Leg et les récentes The Last Dinner Party – avec qui elles vont tourner – ou même d'immenses stars comme Lana del Rey et Billie Eilish, on décide que les femmes de Picture Parlour sont des "industry plants", des créations artificielles de l'industrie musicale, qui se font passer pour des groupes indés alors qu'elles bénéficieraient secrètement des moyens dignes d'une major.

    Encore raté : Picture Parlour n'a pas encore de label. Mais cela ne devrait pas durer longtemps, car l'écoute de leur premier single – Norwegian Wood – sorti il y a quelques jours prouve en réalité que toute cette hype ne sort pas de nulle part.

    La voix de Katherine Parlour a un potentiel énorme, et le songwriting est aussi très au-dessus de la moyenne, suffisamment du moins pour jouer dans des salles bien plus grandes que le Windmill.

    On comprend pourquoi la productrice Steph Marziano a insisté pour produire ce morceau après l'avoir entendu en concert, et le mix d'Alan Moulder le rend d'autant plus épique.

    Si les membres de Picture Parlour vont donc bientôt jouer dans des gros festivals – et viennent d'être signées par la même agence que Wet Leg –  c'est donc peut-être parce qu'elles le méritent. Et peut-être qu'on peut aussi se demander pourquoi ces accusations d'illégitimité sont quasi systématiquement dirigées contre des girls bands ?

    Quand les Strokes et les Arctic Monkeys ont percé, a-t-on mené des recherches sur leurs ancêtres ? Le fait est qu'aujourd'hui, le succès d'une musicienne est forcément considéré comme suspect. On pense qu'elle n'a pas pu y arriver sans un peu d'aide voire carrément une grande machination, alors que pour un musicien, la réussite et le talent vont naturellement de soi.

    Et quand bien même on n'apprécierait pas Picture Parlour ou The Last Dinner Party, combien de groupes masculins médiocres ont déjà été en couverture du NME ? Beaucoup. L'égalité signifie aussi que ce privilège ne peut pas être réservé aux hommes.

    Certains groupes réussissent et d'autres non, ce n'est pas toujours basé sur le mérite, mais c'est ainsi que l'industrie musicale a toujours fonctionné. Et ces inégalités ne sont pas une raison pour harceler – avec un gros fond de jalousie – de jeunes musiciennes talentueuses sur les réseaux sociaux. On a l'impression que depuis Lana del Rey il y a dix ans, rien n'a changé sur ce sujet, et c'est hélas un peu désespérant.

    Picture Parlour sera en concert au Petit Bain le 9 novembre prochain dans le cadre du Pitchfork Festival.

    Crédit photo : Jennifer McCord

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