2017 M10 20
Comment t’es-tu retrouvé à réaliser la B.O. d’Engrenages ?
Tout s’est mis en place au moment du pilote. J’avais déjà bossé avec certains membres de l‘équipe sur des projets précédents et on trouvait que c’était bien de continuer à collaborer ensemble. Les responsables de la production, chez Son et Lumière, voulaient que l’on sorte des clichés des polars à la française, que l’on compose une bande-son sans piano ou instruments à cordes. De là, j’ai réalisé une première maquette, ça a plu et tout s’est enchaîné.
Tu as donc été libre de composer ce que tu souhaitais ?
Pendant deux saisons, oui. Après, le fils d’Alain Clerc, l’un des producteurs délégués, a pris le relai et a voulu moderniser le générique et l’ambiance tout en gardant l’esprit originel. J’ai toujours pensé que ça ne servait à rien de changer une équation qui fonctionne, mais j’ai tout de même modifié l’orchestration du générique, ajouté quelques cordes, etc. Cela dit, avec le recul, je trouve qu’on avait perdu le cœur de la série en procédant ainsi. Là, avec la saison 6, on est revenus aux basiques, à des thèmes musicaux nettement plus proches des deux premières saisons, tout en ayant la possibilité de tester des choses. Par exemple, on entend des gamelans, un instrument traditionnel balinais.
« Je dois réaliser la musique d’un épisode par semaine, ce qui est très rapide. »
La B.O. a-t-elle été pensée en lien avec les réalisateurs ?
Les deux premières saisons comportaient huit épisodes chacune. Ensuite, on est passés à douze. Le rythme a donc augmenté. Aujourd’hui, je dois réaliser la musique d’un épisode par semaine, ce qui est très rapide et ce qui implique de nombreux échanges avec le réalisateur. C’est pourquoi je reçois généralement les scénarios avant de visionner les images afin de m’imprégner de l’histoire. Ce qui me permet ensuite d’écrire un nouveau thème pour chaque saison, une musique qui puisse servir de fil rouge.
En général, le budget consacré à la réalisation de la B.O. d’une série ou d’un téléfilm est-il suffisant ?
Très honnêtement, pas du tout. Pour Engrenages, par exemple, je voulais un orchestre, ne serait-ce que pour les cordes… Mais avec un budget de 32 000 euros pour douze épisodes, c’est impossible.
J’ai vu que tu étais allé aux États-Unis pour rencontrer des superviseurs musicaux. Ça s’est passé comment ?
En réalité, j’ai fait toutes mes études, au Berklee College Of Music de Boston. Le truc à savoir, c’est que le travail est très divisé là-bas et que l’on y fait bien la distinction entre trois rôles spécifiques : le réalisateur, le scénariste et le compositeur. Inutile de dire qu’avec une telle approche, l’aspect musical est forcément plus important, mieux considéré. Aux États-Unis, la bande-son représente environ 5% du budget d’un film, contre seulement 0,1% ici. En France, on est considérés comme de simples techniciens. C’est dommage.
As-tu déjà eu l’occasion de travailler sur un projet cinématographique ou télévisuel aux États-Unis ?
Seulement sur une coproduction américano-coréenne, un film nommé Champion. Mais le budget pour la composition était nettement plus conséquent qu’en France : on a pu tout enregistrer à Prague, j’avais à ma disposition un orchestre symphonique de 95 musiciens et je disposais de 130 000 euros pour un film d’à peine 90 minutes. Ça change tout.
On ne peut donc pas comparer les compositeurs français à leurs homologues américains ?
Non, la différence est très nette. En Amérique, le compositeur a davantage de moyens, on lui laisse plus de temps pour travailler sereinement et il est nettement plus respecté pour ce qu’il apporte à une fiction. Ici, on a encore pas mal de progrès à faire, même si des séries comme Engrenages permettent malgré tout de sortir des sentiers battus.
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