"Standing On The Shoulder Of Giants" : l'album qui a tué l'Oasismania ?

Alors que Liam Gallagher s'apprête à sortir un projet commun avec le guitariste des Stones Roses, retour sur l'histoire de ce disque à l'occasion du deuxième épisode de notre série « Erreur de parcours », dédiée aux tâches discographiques de vos musicien.n.e.s préféré.e.s.
  • Contrairement à ce que voudrait la légende, tous les grands noms de la musique ne peuvent fièrement revendiquer avoir une discographie exemplaire. Oasis en est la preuve : après trois premiers albums inscrits au panthéon du rock, les Mancuniens entrent dans les années 2000 avec d’autres intentions, mais surtout un manque criant d’inspiration. Il y aura bien sûr d’autres faux pas, plus graves et plus gênants encore, mais « Standing On The Shoulder Of Giants » est peut-être le disque qui marque le plus clairement la fin de l’Oasismania.

    Lors d’une représentation d’une pièce de théâtre sans intérêt, un spectateur se lève pour interrompre la scène et manifester son mécontentement. Qu’importent les règles de la bienséance ou la gêne occasionnée auprès des spectateurs.rices, Yannick, puisque tel est son prénom, veut être distrait, exige autre chose de la part des acteurs sur scène et ne voit rien de mal dans le fait de se plaindre ouvertement de la performance proposée.

    Cette réaction, qui sert de trame au dernier film de Quentin Dupieux, c’est exactement celle que l’on aurait aimé avoir si l'on avait eu la chance d'assister à la première séance d'écoute de « Standing On The Shoulder Of Giants », cet album censé acter l’entrée d’Oasis dans le 21ème siècle. De là à prendre les frères Gallagher en otage ? Peut-être pas. D’autant que tout n’est pas à jeter ici, loin de là. C’est juste que ces dix morceaux, parfois proches de ceux des Stones Roses dans l'intention, ce qui est marrant quand on sait que Liam s'apprête à sortir un album commun avec le guitariste de la bande (John Squire), sont aussi intrigants qu’ennuyeux, plombés par des paroles sans réel sens et des mélodies à rallonge, qui refusent l’évidence pop et se fourvoient parfois dans un déluge d’arrangements légèrement vain.

    Le problème de « Standing On The Shoulder Of Giants », c’est qu’il arrive après une trilogie incroyablement riche. Pour ne pas dire mythique : « Definitely Maybe », « (What The Story ?) Morning Glory » et « Be Here Now ». Difficile après ça d'aller encore plus loin, de ne pas perdre de sa fraicheur, surtout lorsque le line-up original se résume désormais aux frères Gallagher.

    Réputés pour leur spontanéité, ce qui n'enlève rien à la puissance des arrangements de leurs trois premiers LPs, ces derniers se rêvent ici en sorciers des studios, qu'ils squattent pour la première fois pendant des semaines, sans s'imposer de deadline. L'idée ? Délaisser l'immédiateté du rock, les refrains bruts et les escapades acoustiques pour se focaliser sur l'exploration de nappes synthétiques, les séquences au mellotron et les sonorités vaguement psychédéliques. « Standing On The Shoulder Of Giants », l’album d’un groupe qui a acquis de la maîtrise tout en perdant ce qui faisait sa singularité ? Oui, il y a un peu de ça.

    Courageux mais décevants : voilà comment on serait tenté de définir aujourd’hui des morceaux tels que Put Yer Money Where Yer Mouth Is, Gas Panic! (inspiré par les crises de panique de Noel Gallagher au moment de sa déinstox) ou Where Did It All Go Wrong ?. Courageux car ils actent une réinvention, soulignent l’envie des Mancuniens de s’éloigner d’un son rétro ou d’une esthétique britpop (la pochette, offrant une vue sur Manhattan, en atteste). Décevants car sans réel charme, ternis par une production pesante et des mélodies qui ne portent pas toutes en elles cette promesse de nouveauté (l'inutile et très stonien I Can See A Liar).

    Ce qui dérange le plus dans « Standing On The Shoulder Of Giants » tient également pour une grande part aux changements opérés par le groupe : exit Alan McGee et Creation Records, place à Big Brother Recording ; au revoir Paul « Bonehead » Arthurs, Paul « Guigsy » McGuigan, pourtant membres fondateurs, et Owen Morris, remplacé à la production par Mark « Spike » Stent. Pour la première fois, Liam Gallagher s'essaye également à l'écriture (Little James), sans que l’on sache encore si c’est une bonne nouvelle ou non.

    Ce qui est sûr, c’est que l’on s’ennuie trop souvent à l’écoute de ces dix morceaux, qui se présentent à nous avec une étonnante absence d’émotion (exceptions faites du puissant Fuckin' In The Bushes et de Sunday Morning Call), multiplient les clins d'œil (à Neil Young, à Led Zeppelin, aux Beatles), se cherchent et tournent parfois à vide. Ça n'a évidemment pas privé Oasis d'un nouveau succès (au Royaume-Uni, l'album s'est écoulé à plus de 310 000 exemplaires la semaine de sa sortie, en février 2000), mais force est de constater que rien ne sera jamais plus pareil après « Standing On The Shoulder Of Giants ».

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