2023 M06 27
Au début des années 2000, à l'heure de la démocratisation massive d'Internet dans les foyers du monde entier, rien ne laisse encore présager qu'un jour des plateformes de streaming auront le monopole. Sur l'industrie. Sur les chiffres. Sur la popularité du rap français. À l'époque, la crise du disque s'abat sur le secteur musical, incapable de s'adapter au virage numérique, de gérer l'émergence de sites de téléchargement, de comprendre l'engouement du public pour des artistes dont on ne trouve parfois les morceaux que sur les blogs.
"Poèmes, photos avec les copines, idoles du moment : tout y passe". 2005, plongée dans le monde d'avant les réseaux sociaux avec les fameux Skyblogs, très prisés par les ados (et pas que).
— INA.fr (@Inafr_officiel) June 23, 2023
👉 Skyrock a annoncé la fermeture de Skyblog après plus de 20 ans d'existence. pic.twitter.com/HspVqCH0Km
D'un côté, il y a donc la bloghouse où, sur Myspace, des centaines de jeunes DJs composent la bande-son nerveuse et électronique d'une génération de fluokids déterminés à mener leur vie comme s'ils étaient dans un épisode de Skins. De l'autre, il y a les Skyblogs, où des dizaines et des dizaines de rappeurs vont se tailler une solide réputation auprès d'un large public malgré l'absence d'intérêt de la part des pontes de l'industrie. Malgré l'impossibilité, également, de comptabiliser réellement le nombre de téléchargements - tout cela se déroulant dans une illégalité admise.
Aujourd'hui, pour parler des années 2000 et de ces rappeurs qui, en dépit d'une influence certaine, ont été victimes d'une économie en crise et d'un marché en pleine mutation, on a tendance à évoquer des rois sans couronne. Salif, Nessbeal, Nakk, Despo Rutti, Alpha 5.20, tous ces artistes seraient donc aussi géniaux et influents qu'injustement méconnus du grand public. Ce qui est à la fois vrai et faux.
Vrai, car aucun d'entre eux n'a réussi à atteindre le disque d'or, une certification qu'ils obtiendraient sans problème aujourd'hui, on n'en doute pas une seconde.
Et faux, car nombre de Skyblogs proposaient à l'époque leur grand classique en téléchargement, permettant à Caillera à la muerte, Pas une chanson triste ou « Les sirènes du charbon » d'être de véritables classiques, aussi bien dans les quartiers que dans les cours des lycées, écoutés en boucle par des gamins persuadés de bénéficier là d'un réseau (les Skyblogs, donc) propre à leur génération et adapté à leur manière d'écouter. De la même manière, c'est aussi à cette époque, 2007, que LIM place l'album « Délinquant » en tête des ventes, devant Céline Dion et autres grands cadors de la chanson française, sans même être réellement identifié par l'équipe d'Universal qui distribue pourtant le projet.
Avec le temps, on a aussi fini par découvrir l'histoire de certains rappeurs ayant débuté comme beaucoup d'autres sur les Skyblogs : SCH (photo de couverture), Jul, Sofiane, Ademo (PNL), tous se sont servis de la plateforme comme d'un tremplin, tous profitaient de leur blog pour distribuer leur mixtape ou leurs dernières chansons - Ademo, par exemple, a publié « Le son des halls » en 2008, confirmant ainsi l'intérêt des Skyblogs en tant qu'outil promotionnel échappant aux circuits de distributions des labels, et permettant aux artstes en herbe de se promouvoir via des projets proposés gratuitement, des versions instrumentales de leurs morceaux ou des titres peut-être trop radicaux pour les maisons de disques.
Sur les Skyblogs, qui se seraient hissés en 2007 à la 17e place des sites les plus fréquentés au monde, il n'y avait donc pas que des « BGdu75 » ou des jeunes écrivant « kikoolol » sous leur photo de classe. C'était aussi l'occasion d'aller dénicher des freestyles introuvables ailleurs, d’avoir accès à une toute frange de la production musicale de manière libre, mais aussi de rencontrer d’autres amateurs, de discuter avec eux. Dans une interview à Konbini, Karmen racontait ainsi avoir commencé à échanger avec Vald en 2012... sur Skyblog. Toute une époque, donc, et qui aura indéniablement permis au rap français d'exister autrement.
La fin d'une époque.
— Le Monde (@lemondefr) June 23, 2023
Skyblog, référence du Web français des années 2000, fermera ses portes le 21 août 👇 https://t.co/cdXn3LgnEx