Retour à Twin Peaks avec Julee Cruise

Alors que la troisième saison de « Twin Peaks » est diffusée sur Canal +, on a passé un moment avec celle qui a rythmé la série hypnotique de David Lynch. L’Américaine, 60 ans aujourd’hui, en profite également pour en placer une sur « Blue Velvet » et la dream-pop, genre musical qu’elle presque inventé.
  • Commençons par la question que tout le monde se pose : avez-vous composé un morceau ou jouez-vous un rôle dans la nouvelle saison de Twin Peaks ?

    J’ai été appelée sur le tournage de la troisième saison, mais je ne peux malheureusement pas en dire plus. Ce n’est pas pour être mystérieuse, mais c’est simplement que je n’ai aucune idée de ce que cela va donner. C’est une véritable énigme que seul David Lynch peut résoudre et expliquer. Ce qui est sûr, c’est que vous serez surpris. Il y a un tas de musiciens qui ont participé à ce projet, David, qui a pris beaucoup d’assurance ces dernières années avec ses instruments, a lui-même composé pas mal d’éléments pour cette saison. Il a obtenu les pleins pouvoirs de la part de Showtime et s’est fait un plaisir de tout contrôler.

    « Je vois le travail sur Blue Velvet et Twin Peaks comme une parenthèse enchantée. »

    À propos de Lynch, pouvez-vous revenir sur le début de votre collaboration ?

    J’ai connu Angelo Badalamenti en 1984 [compositeur attitré de Twin Peaks, ndlr] et, deux ans plus tard, il a fini par me présenter David sur le plateau de Blue Velvet. Je n’avais pas aimé Eraserhead, mais ce projet me parlait davantage. Pour la bande-son, David avait entendu un groupe européen dont la musique lui paraissait angélique, mystérieuse, cosmique. Il voulait la même chose et a demandé à Angelo de lui composer un morceau dans cette veine-là. David a écrit les paroles et, avec Angelo, ils ont fini par m’appeler pour me demander de leur trouver une artiste capable de chanter, ce qui allait finir par donner Mysteries Of Love. Finalement, ils m’ont demandé d’essayer et, au bout de cinq secondes, on savait que ça correspondait parfaitement à l’ambiance du film.

    Quelle est l’histoire derrière « Floating Into The Night », votre premier album produit par Angelo Badalamenti et dont plusieurs morceaux seront réutilisés dans Twin Peaks ?

    Il n’y a pas d’histoire particulière, simplement une ambiance assez folle en studio, contrairement à ce que l’atmosphère du disque pourrait laisser penser. La magie de cet album, je pense, c’est qu’Angelo avait encore en tête les consignes de David et a tout de suite cherché à donner un côté très dramatique aux morceaux, quelque chose de totalement envoûtant. D’ailleurs, si vous écoutez bien, vous entendez que la moindre note sur « Floating Into The Night » est aussi importante que ma voix. Je ne suis qu’un instrument sur cet album.

    Après le succès de Twin Peaks, vous êtes-vous sentie prisonnière de l’univers de David Lynch ?

    Non, je vois le travail sur Blue Velvet et Twin Peaks comme une parenthèse enchantée. Je gagnais déjà ma vie avant de rencontrer David et Angelo, et j’ai continué à travailler sur de beaux projets après. Vous savez, je n’ai jamais voulu être chanteuse ou faire partie d’une industrie, qu’elle soit musicale ou cinématographique. J’avance selon les opportunités et en fonction de ce qui me plaît réellement. C’est aussi pour ça que je n’ai jamais fait de tournée mondiale ou que je n’ai pas produit d’albums à la chaîne.

    J’ai d’ailleurs lu que vous aviez pleuré en enregistrant Falling

    C’est vrai, et ça ne m’est arrivé que deux fois dans toute ma carrière : en chantant The World Spins et en interprétant Falling. Je ne saurais pas l’expliquer, mais peut-être est-ce dû au fait que ce titre renferme des émotions très fortes. Je ne compte plus le nombre de personnes qui me disent l’avoir écouté à la naissance de leur enfant. Ou lors de funérailles…

    Depuis Twin Peaks, vous n’avez enregistré que trois albums. Pourquoi ?

    Déjà, il faut savoir que je ne me suis jamais présentée comme une chanteuse. Bien souvent, je me vois d’ailleurs plus comme une actrice. Et puis j’ai beaucoup travaillé sur les albums d’autres artistes. Ces vingt-cinq dernières années, j’ai quand même collaboré avec Moby, The B-52’s, Bobby McFerrin ou, dernièrement, King Dude. En tout, il y a dû avoir près d’une vingtaine de groupes.

    Ces dernières années, des artistes comme Lana Del Rey, Julia Holter ou Au Revoir Simone vous ont clairement citée en référence…

    [Elle coupe] C’est un très bel hommage qu’elles m’ont rendu et j’en suis sincèrement touchée, mais j’espère qu’elles ne cherchent pas à me copier ou quoi que ce soit. Ces artistes sont très talentueuses, elles doivent inventer leur style. Moi, par exemple, je n’avais aucun modèle de chant lorsque j’ai commencé à travailler sur Blue Velvet.

    « Si je devais mourir demain, j’aurais au moins eu l’honneur de participer aux chef-d’œuvre de David Lynch. »

    Hormis la nouvelle saison de Twin Peaks, vous avez d’autres projets ?

    C’est assez flou. J’ai parfois l’impression que je devrais retourner sur scène, mais je me demande si j’en ai vraiment envie. D’autres fois, je ressens l’envie d’enregistrer un nouvel album, mais ça coûte horriblement cher. Et puis, je n’aime pas être le centre d’un projet, je préfère collaborer, amener un plus à quelque chose de déjà construit. C’est aussi pour ça que ça ne me gène pas d’être continuellement associée à Blue Velvet ou Twin Peaks, de n’être qu’une infime partie de ce qui constitue la magie de ces objets visuels. Et si je devais mourir demain, j’aurais au moins eu l’honneur de participer à ce genre de chef-d’œuvre.

    La saison 3 de Twin Peaks, en 18 épisodes (tous signés David Lynch), sera diffusée à partir du 21 mai prochain, sur Showtime.

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