Retour sur The Idol, la série de The Weeknd qui a viré au fiasco

Précédés d’une réputation plus que sulfureuse, les premiers épisodes de la série HBO avec The Weeknd et Lily-Rose Depp sont enfin visibles. Et ils déclenchent chez nous la même réaction que quasiment partout ailleurs : la gêne. Retour sur l’histoire controversée de The Idol, la série qui devait s’attaquer à l’industrie de la pop, mais qui est devenue tout autre chose.
  • Quand on travaille dans les médias, il y a certains signes qui ne trompent pas. Exemple : lorsqu’une chaîne décide de ne pas permettre à la presse de voir ne serait-ce qu’un épisode d’une série avant sa sortie, c’est généralement mauvais signe.

    Cela envoie le message implicite que la chaîne n’a pas confiance en sa création et qu’elle craint que des critiques négatives nuisent à son lancement. C’est exactement ce qui est arrivé à The Idol après son avant-première très attendue au dernier Festival de Cannes, où les deux premiers épisodes ont été diffusés en présence de l’équipe de la série.

    Accueillis à l’époque par des critiques assassines, ces épisodes de The Idol sont aujourd’hui à la portée de tout le monde, et ils confirment malheureusement les craintes de la presse spécialisée, qui se délecte depuis plus d’un an maintenant des rebondissements dans le tournage de série vendue par HBO comme peu ou prou le choc de l’année.

    Tout avait pourtant bien commencé. Il y a deux ans déjà, The Weeknd annonce qu’il sera la star de sa première série, un projet ambitieux sur les coulisses sordides de la fabrication des stars de la pop à Los Angeles. Pour compenser son inexpérience, The Weeknd fait équipe avec Sam Levinson, fils de Barry et patron d’Euphoria (HBO), la série phénomène avec Zendaya.

    Une nouvelle star hollywoodienne bien née (Lily-Rose Depp) est embauchée dans le rôle principal, et la talentueuse Amy Seimetz – la série The Girlfriend Expérience – doit réaliser les épisodes de cette série où Depp incarnera une sorte de jeune alter ego de Britney Spears, victime d’un système de prédation dont elle doit s’émanciper.

    Le tournage commence en fin d’année 2021 avec les gros moyens qui vont avec une production HBO de ce type, mais The Idol commence à dérailler. Amy Seimetz travaille du mieux qu’elle peut dans des conditions improbables – scripts pas terminés, calendrier impossible à tenir et un The Weeknd qui doit régulièrement s’absenter pour assurer ses concerts, et dont tout le monde sait qu’ils ne sont pas une mince affaire.

    En avril 2022, 80% du travail est pourtant miraculeusement terminé mais la stupeur gagne tout le monde quand HBO choisit ce moment pour annoncer qu’Amy Seimetz est remplacée par Levinson lui-même.

    Comme très souvent dans ce genre de cas, on lit que la série va subir une "refonte créative". Et pour cause : manifestement mécontent de la direction prise par The Idol, The Weeknd trouve que la perspective choisie est trop "féminine".

    Aïe. Grosso modo, le personnage de Lily Rose-Depp est la star – logique, n’est-elle pas "L’Idole" de l’histoire ? – alors que The Weeknd voudrait l’être, lui qui incarne dans la série le gourou creepy d’une secte.

    Malgré les 54 à 75 millions de dollars déjà dépensés dans le tournage de 4 à 5 épisodes sur 6, il obtient gain de cause, et la production repart à zéro en jetant à la poubelle l’intégralité de ce qui a été filmé par Amy Seimetz. Certains personnages disparaissent même complètement de l'intrigue.

    Compte tenu du retard pris par le projet, Sam Levinson ne dispose que de quelques semaines pour réécrire la série et préparer le tournage. Evidemment, ce calendrier est encore une fois intenable pour une seule personne, mais le tournage reprend à la fin du mois de mai, dans des conditions aussi chaotiques que le premier, sauf que Sam Levinson ne rend pas de comptes à HBO, en raison du pouvoir acquis grâce au succès d’Euphoria.

    Le point de vue féministe initial de la série est remplacé par un male gaze plus traditionnel où le personnage joué par Lily-Rose Depp devient en quelque sorte une coquille vide, objet de fantasmes masculins dégradants.

    Une longue enquête publiée par Rolling Stone en mars dernier évoque à ce sujet des scripts tournant autour d’un œuf dans le vagin d'une héroïne qui en redemande quand on lui frappe le visage – ce qui excite son agresseur – et qui craint de ne pas être violée, ce qui l’empêcherait de réussir. Aïe bis.

    Même si ces scènes de torture porn n’ont finalement pas été tournées en raison de contraintes pratiques (sic), le premier épisode diffusé confirme ce parti pris en poussant à fond le curseur sur la nudité de Lily-Rose Depp et les fantasmes sexuels tordus du personnage joué par The Weeknd, dignes du BDSM soft de Fifty Shades of Grey.

    Toute une partie de l’intrigue repose très sérieusement sur une histoire de bukkake dont on vous passe les détails. On a dès lors la sensation que la série est devenue l’incarnation du système libidineux qu’elle était censée dénoncer initialement. On constate aussi et surtout que Lily-Rose Depp n’est pas aidée par un scénario qui ne semble pas très intéressé par l’idée de rendre son personnage intéressant en lui offrant – au hasard – un regard ou un vrai background. C’est d’autant plus regrettable que Depp est une bonne actrice et fait tout ce qu’elle peut pour éviter à la série de se noyer.

    On ne peut pas en dire autant de The Weeknd. Disons les choses comme elles sont : la star canadienne de la pop est un acteur médiocre, et cela transparaît malheureusement dans toutes les scènes où il apparaît. Rien de honteux à ça : les exemples de chanteurs qui rêvent de jouer – et vice versa – mais se plantent sont nombreux. Sa position de créateur/producteur de la série n’y change rien.

    Et selon Rolling Stone, il n’a que très peu contribué à l’écriture des épisodes, même s’il est officiellement crédité en tant que co-scénariste. Arrangeant, il a néanmoins mis à disposition de l’équipe de tournage son manoir hollywoodien à 70 millions de dollars. C’est toujours ça d’économisé pour HBO, et cela offre quelques belles images arty où l’on reconnaît la patte réputée de la boîte de production indé A24. Mais ça ne suffit pas à faire de The Idol la grande série sur la pop qu’on aurait pu attendre. Loin de là.

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