Wet Leg : "On n’a aucune envie de devenir des guitares heroes"

Hester Chambers et Rhian Teasdale jouissent d'un statut dont on a fini par se méfier : « Dernière sensation rock anglais ». Raison suffisante pour bouder leur premier album éponyme ? Absolument pas : en douze chansons produites par Dan Carey, (Fontaines D.C., Squid), les deux Britanniques racontent avec humour et sarcasme le désenchantement d'une génération, le côté néfaste des applis de rencontre et leur amour pour le « Seigneur des anneaux ». Autant de sujets qu'elles prennent le temps d'aborder une fois de plus dans une interview plus sérieuse que ne le laisse présager le nom du duo.
  • Lors de votre enfance sur l’île de Wight, y-a-t-il des moments où vous rêviez de vivre à Manchester ou Londres, ne serait-ce que pour le dynamisme et le brassage culturel de ces villes ?

    Rhian : Tout est beaucoup plus lent sur l’île de Wight. C’est très rural, il y a des champs de maïs partout, tout le monde se connaît et peu de gens apprécient les excentricités. À titre d’exemple, je dis souvent que se balader avec des écouteurs dans les oreilles peut susciter l’interrogation chez les gens que vous croisez.

    Hester : Sur le plan musical, ce n’était pas évident non plus. Il y a bien le festival de l'île de Wight, très réputé, auquel on parvenait à se rendre parce qu’on connaissait quelqu’un pour nous faire rentrer gratuitement. Reste qu’en dehors de ça, il fallait prendre le ferry et ça coûtait très cher, surtout quand tu n’es encore qu’étudiante.

    Rhian : Notre tout premier concert était d’ailleurs lors de ce festival. C’était complétement fou, mais on ne va pas se mentir, on a surtout joué devant tous nos potes.

    Avant de former Wet Leg, vous faisiez partie d'autres groupes. Ce duo, vous le voyiez un peu comme votre dernière chance de percer dans la musique ?

    Rhian : Hester avait monté un duo avec son petit ami, moi un groupe de folk, mais aucun d'entre eux ne décollait réellement... Du coup, Hester s'est mise à travailler dans une bijouterie, et moi, je suis partie à Londres pour travailler comme styliste. J'étais très triste, j'avais vraiment envie de vivre de la musique, et peut-être que ça me poussait à faire n'importe quoi sur le plan musical.

    Hester : C'est presque ironique de savoir que les choses ont commencé à marcher pour nous pile au moment où on n'avait plus vraiment envie.

    Rhian : On se connaît depuis longtemps, mais on n’avait réellement aucune ambition au moment de former Wet Leg. Tout est parti d’une blague, à l’image de ce pseudo que l’on a trouvé en pensant qu’on pourrait l’évoquer à l’aide de vulgaires émojis.

    Tout ce buzz autour de vous, vous arrivez à le considérer comme quelque chose de sain ?

    Rhian : Le truc, c’est que Chaise Longue a explosé pendant que l’on était tous confinés, dans une période où l'on ne pouvait pas jouer devant les gens. Le label Domino venait de nous signer, sans même avoir vu un seul de nos concerts, un planning s’est mis en place, et tout s’est professionnalisé assez rapidement.

    Hester : On est un peu dépassées par tout ce qui nous concerne, mais c’est probablement une bonne chose : ça évite d’adopter un comportement de rockstar.

    Traduction : vous ne voulez pas finir comme Iggy Pop ou Dave Grohl, deux artistes qui vous encensent ?

    Rhian : On reste des ploucs de la campagne, et on n’a aucune envie de devenir des guitares heroes. Pour tout dire, le jour de notre signature chez Domino, on avait surtout très peur qu’ils se rendent compte qu’on est de très mauvaises guitaristes….

    J’ai lu que beaucoup de vos chansons étaient finalisées avant même la sortie de Chaise Longue, en juin 2021. Vous n’avez pas eu la tentation d’en retravailler certaines afin de coller à l’énergie d’un morceau qui a séduit un large public ?  

    Rhian : Non, très honnêtement, ça ne nous a jamais traversé l’esprit. Sur notre album, il y a des chansons rythmées, de la folk, beaucoup d’humour, ça nous représente assez bien. Et puis il y a ce remix de Soulwax : c’est déjà une autre forme de proposition, un pas vers un autre type de musique. Ça nous convient.

    Ce remix de Soulwax est assez symbolique, ne serait-ce que parce que vous répétez que vous vouliez composer des chansons sur lesquelles les gens pourraient danser…

    Hester : C’est tout bêtement une manière de trouver la bonne énergie, celle qui va nous permettre de partager un bon moment avec le public. On y pense au moment de la composition, on a envie d’avoir des chansons dynamiques, taillées pour la scène. D’autant que ça nous évite de nous prendre trop au sérieux.

    Rhian : Au début, les concerts étaient très anxiogènes pour nous. Avoir ce type de chansons, à même de susciter illico la réaction du public, c’est hyper rassurant, presque libérateur.

    « Pendant quelques semaines, on souffrait clairement du syndrome de l’imposteur. »

    C’est Dan Carey (producteur ayant œuvré pour Fontaines D.C., Black Midi ou Geese) qui vous a incité à aller dans cette direction ?

    Rhian : Non, c’est quelqu’un de très taiseux, à l’écoute, dont chaque parole semble être le fruit d’une vraie réflexion. Nous, à l'inverse, on était intimidées à l'idée d'aller en studio chaque jour à ses côtés. Nos chansons ont été écrites dans l'anonymat le plus complet, on ne savait pas réellement ce qu'elles valaient : c'était donc une pression de les faire écouter à un tel producteur, dont on apprécie réellement le travail. Au final, il a compris notre énergie, assez juvénile, et est rentré le plus naturellement du monde dans le projet.

    Hester : Il faut préciser que l’on n’avait peut-être répété que quatre fois nos morceaux avant d’entrer dans le studio de Dan, à Londres. Pendant quelques semaines, on souffrait clairement du syndrome de l’imposteur.

    On sait que Dan Carey aime enregistrer tous les instruments en même temps. C’était le cas pour vous également ?

    Rhian : Oui, l’idée était vraiment de conserver cette énergie live. On a donc enregistré toutes les parties de basse et de batterie en une seule prise, puis les guitares par dessus la bande. Une fois qu’on avait la chanson, on ajoutait différents éléments afin de l’habiller. Personnellement, c’était la première fois que je procédais ainsi, et j’ai adoré : ça donne un son très sérieux tout en conservant cette fougue qui, je pense, nous est propre.

    À propos de cette énergie juvénile, est-ce qu’elle n’est pas redevable également à votre humour ? Comme sur Ur Mum (« Quand je pense à ce que tu es devenu, j'ai de la peine pour ta mère ») ou Piece Of Shit (« Tu dis que tu es un génie / Je dis que tu dois plaisanter »).

    Rhian : J'écris la plupart des textes et j'ai toujours eu envie de diluer des propos sérieux derrière des traits d'humour. Peut-être parce que je suis comme ça dans la vie, toujours à essayer de prendre les choses à la légère. Peut-être que c’est un mécanisme de défense. Mais peut-être aussi que c'est ce que j'aime dans l'art : ne pas être trop frontal, s'autoriser des pas de côté. Quand on y pense, même dans le Seigneur des anneaux il y a des passages très drôles.

    Ce contrepied, on le retrouve également sur Too Late Now, où la dépression et l'angoisse des applis de rencontre disparaissent dans la chaleur d'un bon bain moussant...

    Rhian : Cette chanson parle surtout d'accepter le fait que la vie peut être merdique de temps en temps, et que les applications contribuent à la rendre plus angoissante encore. Qu'est-ce qui se passe quand aucun match ne fonctionne ? On finit par se sentir minable... Avec Too Late Now, je voulais rappeler qu'il faut prendre son temps. D'où cette phrase : « J'ai juste besoin d'un bon bain moussant pour me remettre sur le bon chemin ».

    Sur Angelica, vous chantez : « Good times all the time ». C'est votre mantra ?

    Rhian : On aime l'idée d'être optimiste, d'avoir des paroles accrocheuses et des rythmes qui donnent envie de bouger. Après, on ne s'interdit rien. Angelica, finalement, ça parle surtout du désenchantement d’une jeunesse festive. Pareil pour Convincing, qui évoque une époque où j'étais en légère dépression. Ce que j'aime, en fin de compte, c'est raconter des histoires avec des mots très simples, et pourtant capables de dire beaucoup de choses.

    Hester : Une fois, quelqu’un nous a dit que nous faisions de la musique triste pour les fêtards, et de la musique festive pour les gens tristes. J’aime cette idée.

    Rhian : C’est une belle formule. Mais ce n’est pas pour autant que l’on s’interdira de faire du metal ou de la pop sur le prochain album, si on le souhaite.

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