2023 M02 21
Il paraît que Dominik Moll t'a sollicité après avoir entendu la bande-son que tu avais composé en 2021 pour Onoda, 10 000 nuits dans la jungle d'Arthur Harari. Tu as l'impression que cette B.O. a changé quelque chose pour toi ?
C’est difficile à dire. Ce qui est certain, c’est que j’ai trouvé très bizarre qu’un réalisateur tel que Dominik Moll n’ait pas un compositeur attitré. Il m’a expliqué qu’il a longtemps été obligé de changer de compositeurs, que les discussions avec les boites de production l’emmenaient toujours sur des choix différents. À l‘été 2021, on s’est rencontré et tout s’est fait de façon très naturelle par la suite.
À quelle étape du film es-tu arrivé ?
Ils allaient commencer le tournage, qui devait débuter pile au moment où j’allais entrer en studio pour finaliser l’album de Nicolas Maury, avec qui je venais de travailler sur la B.O. de son premier film (Garçon chiffon). Le calendrier était quelque peu problématique, mais j’ai fini par composer plusieurs musiques à partir du scénario et des discussions avec Dominik. La nuit du 12 est parti en montage, l’équipe a réussi à trouver une place à ma musique, quelque chose qui lui donne une identité. Quand je suis revenu sur le film, un mois et demi après le début du montage, je n’avais plus qu’à intervenir sur certains aspects, retravailler certains passages, ajouter des éléments mélodiques, etc.
La nuit du 12 est finalement une enquête policière. Or, la B.O. ne joue pas sur les stéréotypes de ce genre de films…
Dès le départ, le mot d’ordre de Dominik était clair : ne pas faire un film de genre. Il ne voulait donc pas de musiques haletantes, mais plutôt des mélodies mentales, émotives, répétitives. Tout l’enjeu, pour moi, était également de faire exister cette fille dont on apprend le décès dès le début du film et qui, pourtant, est omniprésente dans le récit. De là est née d’utiliser ma voix, de faire comme Lesley Barber dans Manchester By The Sea où des chants baroques emmènent l’histoire dans une toute autre dimension. Selon moi, c’était le meilleur moyen de représenter musicalement ce personnage absent.
C’est assez inhabituel d’avoir un thème avec une voix…
Oui, mais j’ai l’impression que ça personnalise de suite la musique que l’on entend. Et puis ça reflète l’approche de Dominik, un réalisateur qui a envie d’expérimenter, qui n’a pas peur de la place que peut prendre la musique, là où d’autres cinéastes s’en méfient. Dominik, à l’inverse, souhaitait que la musique sorte du cadre, qu’elle soit très présente, qu’elle soit mise en avant dès les premières images.
« J’ai composé La nuit du 12 sans voir les images, je me suis laissé aller à ce qui me plaît le plus musicalement, avec un spleen que j’aime particulièrement explorer. »
Tu parlais de cette fille qui disparaît rapidement, mais plane sur tout le reste du film. Évidemment, cela fait penser à Twin Peaks et au personnage de Laura Palmer. Tu dirais que le cinéma de David Lynch et la musique d’Angelo Badalamenti font partie de tes influences ?
Le lien est assez évident, en effet. Cependant, j'ai préféré privilégier ici les humeurs acoustiques et organiques, là où Badalamenti aimait particulièrement l'aspect brumeux et rêveur d'une mélodie. Sur La nuit du 12, je n'ai pas fait appel comme lui à tout un tas de synthés vaporeux et réverbérés, mais il fait clairement partie de mes références. En tout cas, je vois le lien que l’on peut faire entre l’univers lynchéen et l’ambiance de La nuit du 12. Cela dit, je dois avouer que mes références ici étaient plutôt Zodiac et Manchester By The Sea : je voulais retranscrire à ma façon ce que j’avais ressenti en voyant ce film.
Il se dégage de La nuit du 12 une certaine mélancolie, un sentiment que tu donnes l’impression de particulièrement apprécier. Je me trompe ?
Une grande partie de ma formation a été de jouer pendant près de dix ans au sein de Syd Matters. Systématiquement, les sentiments que l’on allait chercher, dans les suites d’accords ou les mélodies, touchaient à la fragilité, à la mélancolie. Je ne suis pas du tout quelqu’un de triste, mais je suis clairement attiré par des accords mineurs. C’est l’écriture qui me paraît la plus jolie. Sachant que j’ai composé cette B.O. sans voir les images, je me suis laissé aller à ce qui me plaît le plus musicalement, avec ce spleen que j’aime particulièrement explorer.
Il y a tout de même un morceau qui se distingue par son euphorie, ses synthés et son ambiance héritée des années 1980 : Angel In The Night.
Dominik est très joueur. Il voulait un morceau typé années 1980 et, plutôt que d’aller piocher dans le répertoire existant, il m’a proposé de réaliser cette chanson. En tête, j’avais Depeche Mode, The Cure ou Duran Duran. Angel In The Night sort de la logique générale d’une B.O., mais je me suis amusé à composer ce morceau. J’ai cherché à comprendre comment les groupes faisaient sonner leurs synthés à l’époque, comment ils approchaient leur boite à rythmes, etc. Ayant écouté beaucoup de pop électronique des années 1980, je me sentais légitime à produire un tel morceau. Si on m’avait demandé de composer une salsa ou de la rumba congolaise, des musiques dont je n’ai pas les codes, j’aurais certainement botté en touche.
En interview, James Cameron disait que « le cœur et l’âme d’un film résident dans sa musique ». Tu es d’accord ?
Je pense qu’une mauvaise musique ne peut pas complétement faire foirer un film bien écrit, de même qu’une très bonne musique ne peut pas sauver un film mal foutu. Cela dit, c’est indéniable qu’une B.O. participe à l’intérêt d’un film. Pendant la composition de La nuit du 12, par exemple, j’avais réellement conscience d’œuvrer à la qualité d’une œuvre maîtrisée de bout en bout.
J’imagine que tu disposes de plus de moyens sur tes B.O. que sur tes albums solos ?
C’est sûr que c’est une activité nettement plus rémunératrice, dans le sens où mes albums sont destinés à un public de niche. Mais la musique de films, c’est surtout un endroit parfait pour s’amuser et expérimenter certaines choses que l’on ne s’autoriserait pas sur un format chanson. Cela dit, tout n’est pas rose non plus : pour les besoins du film, on nous demande souvent de nous exprimer sur des formats très courts, de ne pas prendre le pas sur l’image, etc. En clair, on passe plus de temps à retirer des éléments qu’à en ajouter. Ce qui peut être frustrant. Personnellement, j’adorerais proposer des compositions plus orchestrées, faire appel à dix flûtes népalaises pour les besoins d’une mélodie.
Peut-être que ta nomination aux César va encourager les réalisateurs et réalisatrices à te laisser cette liberté, tu ne crois pas ?
Je l’espère. Je ne veux juste pas que cette collaboration avec le cinéma prenne le temps sur mon activité de musicien-interprète. Une B.O., c’est finalement un travail très solitaire, qui me fait passer entre 3 et 4 mois seul dans mon studio, de 9h à 18h30. J’adore ces moments-là, mais je ne pourrai pas vivre uniquement de ces instants de création. Je me suis mis à la musique par besoin d’être entre potes, de collaborer, de partager des concerts avec d’autres artistes : ne pas faire plus de deux bandes-originales par an me permet de conserver ce pied dans la musique live.
La nuit du 12 est diffusée le mardi 21 février sur CANAL+, et disponible en replay sur myCANAL.