2021 M02 12
Comment est née l’idée de confronter ton univers, ancré dans les musiques électroniques, à celui des musiques classiques ?
Mon dernier album, « Lys », est sorti en mars 2020. Dans la foulée, j’avais prévu de partir en tournée, mais le confinement mondial en a décidé autrement. C’est alors que le label Deutsche Grammophon m’a contacté pour me parler de ce projet, « Shellac Reworks ». Ils m’ont demandé si j’étais partant, je dois avouer que j’étais un peu stressé à l'idée de m'attaquer à un tel répertoire, mais j’avais tellement de temps à tuer en studio que ça me paraissait être le timing parfait. Je n’avais jamais abordé les musiques classiques, je n’avais que quelques connaissances sur cet univers, c'était l'occasion rêvée de creuser le sujet.
Ce n’était pas trop intimidant de t’attaquer à de telles pièces musicales ?
C'était beaucoup plus compliqué que je ne le pensais. Prenons les symphonies de Beethoven, par exemple : on y trouve tellement d’éléments, de mélodies, de notes, qu’il peut être extrêmement difficile d’en extraire quelques passages. Autant dire que j’ai vraiment galéré pour trouver par où commencer… Si je devais être honnête, je dirais d’ailleurs que ça été de loin l’album le plus difficile que j’ai eu à réaliser, dans le sens où je voulais non seulement respecter les mélodies originales, mais aussi amener des sonorités qui n’appartiennent qu’à moi. C’est pour ça que je ne veux pas que l’on considère ces morceaux comme de simples remixes d’œuvres mythiques : ce sont des réinterprétations à part entière, pensées dans l'idée de montrer toute la force, la jeunesse et la folie que contiennent ces musiques.
Je ne sais pas si tu es courant, mais Thylacine a publié il y a quelques mois un album où il reprend lui aussi des musiques de Beethoven, Sheremetiev, Fauré, etc.
Oh, non, je ne savais pas… J’aime beaucoup sa musique en plus ! De toute manière, ce n’est plus un secret pour personne : les producteurs issus des musiques électroniques ont souvent eu envie de s’attaquer à ce genre de répertoire. A priori, tout nous éloigne de ces symphonies, et pourtant, quand on s’y intéresse de plus près, on se rend compte qu’il y a des obsessions communes, ne serait-ce que dans cette recherche de l’immersion, dans cette faculté à faire converger des dizaines de sonorités au sein d’une même mélodie. Moi-même, j’ai réalisé que les parties de cordes chez Beethoven étaient parfois très proches de ce que je propose habituellement.
Justement, pourquoi avoir choisi de piocher dans le catalogue de Beethoven, Wagner et Bach ?
Dès le début, j’ai eu la possibilité de choisir parmi quarante pièces et dix compositeurs. La sélection me paraissait impossible, alors j’ai pris le temps d’écouter toutes ces compositions, j’ai pris des notes sur les moments qui me touchaient le plus et qui me paraissaient être intéressants à réinterpréter. Je ne cherchais pas spécialement les passages les plus populaires de ces compositions, surtout pas même, il me fallait aller vers d’autres parties, rappeler qu'il y a beaucoup d'humanité dans ces enregistrements, qu'il est temps d'arrêter de les intellectualiser pour les ramener à des sensations très basiques. C'est peut-être pour ça que j'ai presque systématiquement opté pour les passages les plus courts, les plus calmes, ceux qui me semblaient pouvoir se fondre dans mon univers.
J’ai lu que tu aimes aller courir tous les matins avant d’entrer au studio. C'est pour être apaisé une fois derrière tes machines ?
Je vis dans une petite ville située à 2 heures de Berlin, proche de la mer, c’est plutôt propice à ce genre d’activité, non ? Habituellement je travaille le matin et je finis par aller me balader l’après-midi. C’est une façon pour moi de m’aérer l’esprit, d’être en mouvement, mais aussi d’enregistrer les bruits de la nature. Je suis un vrai collectionneur de sons, ça contribue à mon inspiration. Pas seulement pour mes musiques, mais aussi pour mes peintures et mes photographies. Depuis que j’ai 16 ans, j’ai ce besoin de bouger constamment et de collecter des idées. C’est pour ça que je me suis éloigné des grandes villes, c’est une nécessité. À Berlin, par exemple, il y a trop de distractions. Ici, je peux me retrouver seul très facilement.
La plupart de tes morceaux sont calmes, contemplatifs, presque adaptés à la méditation.
Je pense que c’est le reflet de ma personnalité. La musique que j’aime le plus est souvent calme, presque silencieuse ou minimaliste. Ça se ressent également dans mes photographies ou mes peintures. Je n’aime pas surcharger mes projets, j’essaie systématiquement de me focaliser sur le moins d’éléments possibles. Après tout, si l'on est satisfait par une mélodie, pourquoi ajouter toujours plus d’arrangements ? Il faut parfois savoir jouer l'économie et se concentrer sur l’essentiel.
« Ça coûte moins cher de faire appel à un artiste électro qu'à un orchestre symphonique, on ne va pas se mentir. »
Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’électro a peu à peu remplacé la musique classique dans les films et les séries…
C’est vrai que les bandes originales actuelles sont très souvent portées par des éléments électroniques, sans doute parce que les compositeurs s’inspirent des dernières tendances, des instruments à la mode, ils veulent être en phase avec leur temps. Et puis ça coûte moins cher de faire appel à un artiste électro qu'à un orchestre symphonique, on ne va pas se mentir...
Tu as l’habitude de peindre les pochettes de tes albums. Sur « Parallels », tu as cette fois-ci opté pour une photo…
Hormis un enregistrement de 1929 de l’Orchestre philharmonique de Berlin, tous les autres titres de mon album revisitent des enregistrements datant des années 1930, composés à la Staatskapelle de Berlin. L’idée d’utiliser une photo de cette salle, presque entièrement vide, à l'exception de cette femme, m’a rapidement paru évidente. Je voulais refléter l’ambiance dans laquelle ces symphonies ont été composées, montrer le genre de lieu au sein duquel elles existent habituellement.
Plus largement, ton premier concert avait eu lieu au Panorama Bar, une des annexes du Berghain. Tu penses que les clubs berlinois vont se relever de cette crise sanitaire ?
Tu sais, je suis vraiment inquiet par rapport à cette situation, tant d’endroits formidables sont fermés depuis des mois... En Allemagne, le clubbing est une culture à part entière, quelque chose qui attire des millions de gens chaque année, spécialement à Berlin. Or, là, les clubs luttent plus que jamais pour leur survie, et je crains que ça finisse par changer l’état d’esprit global.
On le disait, tu as l’air d’être quelqu’un de calme, très réservé. C’est difficile de t’imaginer complétement ivre en boîte de nuit... Tu es quel genre de clubber ?
À vrai dire, je ne l’ai jamais vraiment été. La plupart du temps, si je suis en club, c’est que je vais y donner un concert. Au Panorama Bar, par exemple, l’équipe me demandait à quelles soirées j’avais pu participer par le passé, et les gars n’en revenaient d’apprendre que c’était la première fois que je mettais les pieds dans ce lieu…
Dans ce cas, j’imagine que tu préfères jouer en extérieur, au milieu de la nature, un peu comme tes deux performances données pour Cercle ?
Si je pouvais choisir, tu sais, je jouerais systématiquement en extérieur. Le fait d’être au milieu des montagnes, avec très peu de personnes autour de moi, c’est absolument fabuleux. C’est pour moi la meilleure façon de s’évader, le meilleur endroit pour écouter ma musique.
Et « Parallels » dans tout ça, tu dirais qu’il est préférable de l’écouter dans quelle situation ?
À l’origine, je l’imaginais comme un disque adapté pour une écoute à la maison. Mais j’ai eu l’occasion de le transposer sur scène en décembre dernier, dans le cadre d’un livestream, et j’ai réalisé que les moments où le beat arrive sont parfaits pour se laisser aller, et danser. Du coup, j’ai l’impression qu’il trouve son sens dans différents types de lieux, différentes ambiances. C’est presque l’album parfait, en quelque sorte.