L'histoire de "No Wow", le chef d'oeuvre congelé des Kills

Sorti en 2005, le second disque des Kills s'imposait comme un monument de post-punk aussi froid qu'excitant. 17 ans plus tard, il s'offre une réédition qui vient prouver que ce "No Wow" n'a rien perdu de sa force.
  • Il n’a pas pris une ride. Ses auteurs ont malheureusement plus de mal à en dire autant. Dix-sept ans après sa sortie, « No Wow », second album des Kills et apogée créative du groupe, a droit à sa réédition. Une occasion de se rappeler que non, le duo américano-britannique n’est pas un groupe indie-rock parmi d’autres. Alison Mosshart et Jamie Hince ont d’ailleurs prévu d’enfoncer le clou en rejouant le disque en entier à l’occasion de quatre concerts à Los Angeles et Brooklyn. Prévue le 3 juin, la réédition s’accompagne également d’un mixage alternatif signé Tchad Blake. Si l’ingénieur du son au CV massif apporte un son plus enveloppant, il ne rend malheureusement pas honneur au sentiment d’urgence qui émane de ce disque écrit et produit en à peine un mois.

    Replaçons-nous dans le contexte. The Kills, c’est la rencontre entre Alison Mosshart, peut-être la meilleure chanteuse rock de sa génération, et Jamie Hince, brillant guitariste. Une Américaine, un Anglais : la fusion de l’authenticité et de la sophistication. L’arrivée des Strokes et des White Stripes a provoqué une effervescence dans le milieu du rock. Là-dedans, le duo amène un style unique dès son premier disque en 2003, « Keep On Your Mean Side », chez un Domino Records décidé à réunir le meilleur du rock UK (suivront Franz Ferdinand, Arctic Monkeys ou Anna Calvi). Leur blues rock accompagné de boîte à rythme est sauvage, plein de fougue. Rétrospectivement, il apparaît pourtant comme un brouillon de « No Wow », qui porte cette alchimie jusqu’à l’incandescence.

    Dans sa promo, le duo explique alors s’inspirer du New York de la fin des années 70. Ce post-punk décharné et synthétique rappelle bien sûr Suicide. Mais plus largement, il convoque l’ambiance sombre et nihiliste de l’époque. Il y est question d’amours en déliquescence, d’impasses, de tueries nocturnes. L’amour et la mort : un duo toujours gagnant. Le tout raconté avec une guitare, deux micros, une boîte à rythme et une console de mixage ayant appartenu à Sly Stone.
    Avec ce minimalisme, le disque donne l’impression de n’être constitué que d’un seul et long morceau. Atteignant son sommet avec le diptyque I Hate The Way You Love au cœur de l’album, il opère ensuite une redescente jusqu’au crépusculaire Ticket Man. Tout y est un travail de contradictions et de conflits. Fiévreux et glacé, animal et synthétique, plein de tension sexuelle et de violence latente, il semble le lieu d’un combat à mort entre la chanteuse et la guitare. Il est à la fois question d’une fusion absolue que d’une consumation de la moindre émotion, dont ne resteraient ici que les dernières braises. 

    Peut-être ont-ils tout brûlé en un disque. Car les suivants n’ont plus la même âme. « Midnight Boom », en 2008, est bien plus oubliable, notamment sur son travail des boîtes à rythme. Trop travaillé, et donc trop propre. Très bon disque par ailleurs, « Blood Pressures » en 2011 reste très sage. Ils ne jouent plus l’un pour l’autre, dans un duo sauvage. Ils jouent pour un public sans doute devenu trop grand pour eux. Depuis, Hince a perdu l’usage de son majeur dans un accident, le poussant à réapprendre son instrument. Devenu moins nerveux, son nouveau style aboutit à un « Ash & Ice » poussif en 2016. Depuis, on attend un successeur, qui ne devrait plus tarder selon Hince. Mais on a bien peur qu’il ne nous procure aucun « wow ».

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