Hypothèse : et si Jack White était meilleur en solo qu’en groupe ?

Avec son dernier album, « Fear Of The Dawn », Jack White semble enfin s’épanouir en solo et s’émanciper de ses différents groupes. Au point de pouvoir enfin dire : oui, Jack White, c’est mieux en solo.
  • C’est parfois dur de le prendre au sérieux. S’il n’a pas perdu toute crédibilité, Jack White reste encore assez peu considéré en tant qu’artiste solo. C’est sûr, sa maniaquerie, sa coupe de cheveux, ou des frasques comme demander sa copine en mariage en plein concert n’aident pas. Mais surtout, il semble globalement admis que les albums solo du guitariste sont largement inférieurs à ses productions en groupe (White Stripes, mais aussi Dead Weather ou Raconteurs). Pourtant, avec son dernier album « Fear Of The Dawn » sorti ce 8 avril, il serait peut-être temps de changer de point de vue. Et admettre que oui, Jack White est en réalité bien plus intéressant tout seul qu'accompagné.

    Certes, il aurait été difficile d’affirmer cela encore récemment. Son premier disque solo, « Blunderbuss », sonnait comme du White Stripes rachitique. Le suivant, « Lazaretto », malgré un style qui commence à s’affirmer, reste en-deçà de son niveau. Puis, après s’être associé à Beyoncé, A Tribe Called Quest, ou même Jay Z pour un projet avorté, il revenait en 2018 avec « Boarding House Reach ». Et c’est là que les choses sérieuses commencent.

    White y opère une bascule : de l’écriture de chansons, son obsession bascule vers le travail du son. En résulte un disque avec 1000 idées, aussi déconcertant que passionnant. Son matériel vintage adoré se retrouve associé à des samplers et synthétiseurs ; le blues se mâtine de rap, jazz et d’expérimentations étranges. Beaucoup l’ont rejeté, mais le disque mérite d’être réévalué. Il ne s’agit pas d’excuser le passage rap de Ice Station Zebra. Mais pour un moment gênant comme celui-là, on trouve plusieurs réussites comme Over and Over and Over. White essaye, rate, mais surtout tente d’explorer un territoire nouveau. Quitte à cliver.

    Jusqu’alors, on pouvait le croire lancé dans un délire rétro stérile. Parce que pointer les défauts des disques solo de White ne devrait pas occulter ceux de ses groupes. La formule des White Stripes, aussi brillante soit-elle, repose sur un minimalisme qui les condamnait à l’impasse. Le sympathique projet Dead Weather n’y ajoute pas grand-chose d’autre qu’un chaos sonore une fois mis de côté le charisme vocal d’Alison Mosshart. Quant aux Raconteurs, malgré l’élégance de leurs albums, ils restent d’un classicisme total. Alors qu’il faut voir les choses en face : dans ses derniers projets, Jack White est résolument orienté vers le futur. Après tout, le fait qu’il fâche les vieux rockeurs n’en est-il pas le signe ?

    Pour autant, son retour aux Raconteurs au 2019 lui a probablement été bénéfique. C’est en croisant des chansons bien structurées au maximalisme sonore de « Boarding House Reach » qu’il en arrive à ce « Fear Of The Dawn ». Là encore, le disque est loin d’être parfait, mais il évacue le superflu de son prédécesseur pour rester bien plus cohérent. Et ce malgré des influences rap ou dub. Toute la pertinence du projet est contenue dans le titre Hi-De-Ho. En même pas quatre minutes, il mêle le son de guitare inimitable de White, un sample de Cab Calloway, un couplet rap de Q Tip puis un passage vaguement latin, le tout porté par un riff impeccable et des synthés obsédants. Passé, présent et futur s’y croisent. Surtout, White semble y retrouver l’écriture intuitive qui a fait son succès, tout en creusant ce plaisir viscéral pour un son massif.

    On peut le trouver excessif ou ridicule, mais Jack White est actuellement porté par une véritable vision artistique. Il veut porter le blues et le rock dans une nouvelle ère. Sans trahison aucune, il comprend que pour suivre cette tradition, il faut l’amener ailleurs. Qu’on le suive ou non, cela reste admirable dans un paysage rock volontiers conservateur. Il ouvre la voie à coups de massue. Ce faisant, il poursuit le travail entamé il y a plus de vingt ans avec les White Stripes : revitaliser le rock. Si Jack White est meilleur en solo, c’est parce qu’il arrive encore à créer de la nouveauté dans le genre. Reste à savoir si son album de ballades, « Entering Heaven Alive », à venir très vite le 22 juillet, confirmera cette bonne lancée. Mais on attend surtout un successeur.

    Crédit photo : © Sara Paige

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