2022 M02 15
C’est un bel effet papillon. 2012 : frustré par le conservatisme des radios de Nashville, le musicien de country canadien Grant MacDonald décide de se lâcher. Il publie ainsi le titre Ram Ranch, mêlant une instrumentation metal très mal mixée et des paroles racontant une orgie homosexuelle dans un ranch fictif. 2016 : utilisé par des streamers populaires sur la plateforme Twitch, le titre gagne en popularité, et devient un mème Internet. Amusé, MacDonald s’amuse à en publier de très nombreuses versions (il en est à 542 et semble ne pas vouloir s’arrêter).
2022 : ulcérés par les restrictions sanitaires et l’obligation vaccinale, des dizaines de personnes décident de manifester avec leurs camions, dans ce qu’ils appellent les « convois de la liberté ». À Ottawa, capitale du Canada, le côté invasif de ce convoi en énerve plus d’un. Outre leurs opinions conservatrices, voire franchement identitaires, les camionneurs sont agressifs, détruisent des installations, harcèlent des passants. Le maire de la ville a même déclaré un état d’urgence. Plusieurs habitants, énervés par l’absence de réaction des autorités, lancent une contre-manifestation. Et, étonnamment, c’est le morceau Ram Ranch qui va servir de ralliement.
L’utilisation du morceau part d’un jeu de mots sur Dodge Ram, modèle de voiture pick-up très populaire chez les camionneurs. Ainsi, plusieurs personnes ont infiltré les réseaux de discussion de ces derniers, en diffusant à fort volume le morceau. Avec son riff metal et ses paroles totalement explicites (« 18 cowboys nus dans les douches du Ram Ranch / De grosses, dures bites en érection attendant d’être sucées »), le morceau parasite toute discussion. Les contre-manifestants vont ainsi épuiser les convoyeurs, menant parfois à la fermeture totale de certaines boucles de discussion.
Lorsqu’il apprend que son morceau est utilisé à Ottawa, MacDonald est d’abord inquiet, comme il le raconte à Rolling Stone : « Je me disais : pourvu que ce ne soient pas les camionneurs [qui l'utilisent] ! ». Rassuré, il assure son plein soutien à l’utilisation de sa chanson : « Je suis ravi, vraiment ravi, que mon morceau puisse être utilisé pour défendre la science. » On imagine qu'il ne l'avait pas vraiment anticipé.
Jumped in to the taken over zello and this is the first thing I hear. It's.... beautiful😩#RamRanchResistance #RamRanch pic.twitter.com/8PiTpFE8FZ
— ᴊⒶᴇ (@nephrite1312) February 12, 2022
La chanson connaît ainsi une nouvelle popularité sur Internet. Le hashtag #RamRanchResistance sert d’outil de discussion aux contre-manifestants. Un site web a même été créé, cherchant à réunir les utilisateurs de la chanson. Dans la rue, certains se retrouvent au cri de « Ram Ranch ». « Ce n’est pas du tout quelque chose d’organisé » explique Noelle, créatrice du hashtag, à Rolling Stone. « C’est juste un groupe de gens agacés par ce qu’il se passe, et qui se sont dit qu’ils pouvaient faire quelque chose. »
Which one of you glorious bastards put this on Google Maps? 🤠#RamRanchResistance pic.twitter.com/HlGe7iq64U
— emily h (@hadge) February 13, 2022
Le mouvement des convois est depuis devenu mondial, bien qu’il peine encore à prendre en Europe. A l'autre bout du monde, en Nouvelle-Zélande, la réponse s'est aussi faite en musique. Pour disperser la foule bloquant les rues de Wellington, la police a en effet diffusé à fort volume la Macarena, des titres de Barry Manilow, et même, en dernier recours, du James Blunt. Ce dernier a même donné son aval pour cela. Si les rapports entre musique et politique sont complexes, ils sont avant tout imprévisibles.
Crédit photo : Flickr Force Ouvrière.