2021 M04 20
C’est parfois dur de s’occuper une fois à la retraite. Et si passer du temps avec ses petits-enfants peut aider, encore faut-il réussir à franchir le fossé générationnel. Pete, lui, a choisi de l’enjamber avec souplesse. Un jour qu'il transporte sa petite-fille de 13 ans, celle-ci branche l’autoradio sur une station de rap. Et alors qu’il s’apprête à revenir à ses habitudes, il se ravise. Le style le branche. « Plus t’en écoutes, plus tu aimes ça » explique-il plus tard à Noisey. Très vite, il transmet sa nouvelle passion à son vieil ami Bas, lui-même musicien amateur. Et les voilà qui, tout naturellement, se mettent à poser des couplets sur des beats de drill. Sans coach, sans filet.
Un premier morceau, Shut Ya Mouth, sort en 2018. Et il y a déjà tout : une instru moderne, un flow assuré, un accent cockney jusque dans chaque syllabe, et une ambiance de gangster des année 70. Le titre attire l’attention, notamment celle du site GRM, spécialisé dans le grime. Si beaucoup croient d’abord à un parodie, le duo va vite leur prouver le contraire. Chaque nouveau titre ne fait qu’enfoncer le clou, dépassant le million de vues sur YouTube, et leur popularité ne fait que s’accroître. Sorti la semaine dernière, leur freestyle chez le producteur Fumez The Ingeneer approche déjà les trois millions de vues.
Car il faut bien admettre qu’une fois passé l’effet de surprise, la qualité est bien là. Au-delà des beats, le flow de chacun est technique, maîtrisé. Leurs deux timbres (Pete rauque et guttural, Bas grave et tout en volume) se complètent très bien. Mais surtout, les deux ont parfaitement travaillé leur attitude. Leur origine londonienne transpire de partout, avec notamment ce mélange inimitable de flegme, élégance et auto-dérision. Cannettes de bière, pubs moisis, bagnoles, tout est là. Autre trouvaille : on ne sait rien du passé des deux rappeurs. Ce qui, forcément, déchaîne l’imagination. Sont-ils de vieux gangsters, assez discrets pour ne jamais s’être fait prendre ? Ou juste deux vieux retraités de la classe ouvrière ? Même leur biographie Spotify évoque une possible relation avec les jumaux Kray, célèbres gangsters des années 50 et 60.
Toujours est-il que Pete et Bas jouent à fond ce rôle de gangster old school, à peine plus modernes que les Peaky Blinders. De ce fait, ils reprennent à leur compte les codes bling bling et gangsta, sans jamais avoir à forcer. Juste que Ralph Lauren et Stone Island ont remplacé Gucci. « Avant j’avais une Peugeot défoncée/Maintenant j’ai des chaines sur la poitrine ». Cette aura de mystère leur donne même plus d’authenticité que la plupart des rappeurs. Quand Bas dit « Je suis un charmant vioque/mais je suis un homme violent », tout est résumé. C’est cette dualité entre sympathie et menace latente qui rend leurs clips réellement intéressant, en plus d’être étonnants.
D’une manière générale, les deux vieux ne trichent pas. « Tout ce qu’on fait, c’est parler de notre vie » explique Pete à Noisey. Mais avec les bons codes. « On comprend les jeunes, c’est notre secret » renchérit Bas. Bagues aux doigts, chaîne en or, gestes, attitude : tout est là. Aux côtés des mots croisés et des costumes. Leurs textes mélangent habilement l’argot moderne (la « moolah ») et ancien (un « lucifer » pour un briquet). Avec une aussi longue vie, on comprend qu’ils ont bien plus à dire que beaucoup de débutants, et qu'ils ne comptent pas s'arrêter là. Pour rappel, ceux deux-là n’ont pas seulement vécu la naissance du rap, mais aussi celle du rock’n’roll. Alors on se tait et on écoute la leçon.