2022 M04 21
Lesley Duncan fait partie de ces noms que beaucoup (pour ne pas dire la grande majorité !) ne voient que dans les crédits des albums. Et encore, ça, c’est ce qui se passe dans le meilleur des cas. Quel fan de Pink Floyd, par exemple, peut citer son nom et affirmer qu’elle a assuré les chœurs sur « Dark Side Of The Moon » ? Quel spécialiste de la discographie de Bowie reconnaît le rôle essentiel, bien que bref, qu’elle a pu jouer au sein de sa carrière, en lui servant de muse, lui faisant découvrir Jacques Brel ? On serait même curieux de connaître le nombre d’amateurs d’Elton Jon capables de dire que Love Song est l’une des rares chansons que ce dernier n'ait pas (co)écrites.
À chaque question, le pourcentage risque d’être peu élevé. Tout simplement parce que Lesley Duncan semble avoir toujours été condamnée à vivre dans les marges : du système scolaire (elle quitte l’école avant son quinzième anniversaire), du show business et de la politique - en 1977, deux chanteurs reprendront Love Song en hébreu afin de commémorer la paix entre l’Égypte et Israël.
Cette vie passée sur le bas-côté de l’industrie s’explique sans doute par la personnalité de Lesley Duncan, pas du tout intéressée par la réussite, presque insensible à l’idée d’avoir un plan de carrière. Chez elle, tout se fait à l’instinct, au hasard des rencontres. La première a lieu en 1962 : alors qu’elle travaille dans un café londonien, son frère Jimmy et elle apportent quelques chansons à un éditeur de musique.
Si son frère (futur manager des Pretty Things) ressort de ce rendez-vous avec un acompte hebdomadaire de 10£, Lesley doit se contenter de 7£. Après tout, elle a moins de chansons en stock, ne joue pas de guitares et... c'est une fille. Derrière le sexisme, une réalité : l'Anglaise voit soudainement sa carrière artistique décoller. Elle apparaît dans un film (What A Crazy World), écrit des chansons pour d'autres (Walker Brothers), assure les chœurs pour Donovan, Jesus Christ Superstar ou Dusty Springfield (sympa, la diva fera de même sur les disques de Lesley) et publie une douzaine de singles entre 1963 et le début de la décennie suivante.
Les années 1970, c'est également la période au cours de laquelle Lesley Duncan publie enfin ses premiers albums. Dès lors, il ne s'agit plus de faire dans la pop-song toute mignonne et girly, mais bien de composer de vrais disques, plus réfléchis, plus ambitieux et nettement plus concernés par le monde autour : Earth Mother, titre éponyme de son deuxième album, sorti en 1972, fait potentiellement partie des premières chansons à parler d'écologie.
Le problème, c'est que de tels projets ne suscitent que peu de remous, si ce n'est auprès de la presse spécialisée. Une belle reconnaissance, certes, mais tout le monde sait que c'est l'amour porté par le grand public qui permet aux artistes de remplir le frigo. Ainsi, après quatre albums intéressants mais peu soutenus, l'Anglaise tente le coup de l'album commercial en 1977 avec « Maybe It's Lost ». En vain. À défaut d’encaisser les chèques, Lesley Duncan doit digérer l’échec et finit par tourner le dos à l’industrie musicale. Décédée en 2010, dans l'anonymat le plus complet, l’Anglaise était peut-être simplement de ces artistes destinées à œuvrer dans l'ombre, hélas en toute discrétion.