2022 M11 5
« Penser. Rêver. Tout est là. » Lorsque Victor Hugo couchait sur papier ces quelques mots, il ne se doutait pas que bien des années plus tard, un jeune chanteur répondant au nom de Oete — qui se prononce Eute — les appliquerait au pied de la lettre. Pourtant, avec Thibaut Blond dans le civil, c’est exactement ce qu’il s’est passé. Dès sa plus tendre enfance, vécue loin de la cohue des grandes villes, le bambin se met à penser, puis à rêver musique. Malgré son attirance pour cet art, à ce moment de sa vie, il estime qu’il sera difficilement atteignable. C’est ce qu’il nous explique au petit matin, posé dans un café parisien :
« Je viens d’un village de 250 habitants dans l’Oise. Quand on a une famille issue de classe ouvrière et qu’on leur dit qu’on veut faire de la musique, ce n’est pas du tout dans leur réalité. Alors ils ne l’imaginent pas comme possible. Il a fallu batailler pour inclure ça dans une réalité. Aujourd’hui c’est bon, mais avant, ça me paraissait trop loin. »
Pour se rapprocher de cet objectif, sans doute aussi pour assouvir ses véhémences créatrices, Oete décide d’opérer étape par étape. La première, une école de théâtre située à quelques encablures de son domicile. Littéralement happé par la scène, il l’utilise comme un « espace d’expression » via lequel il laisse d’abord parler sa chair. Les dialogues arrivent vite, presque autant que son initiation aux arts circassiens. Une autre formation qui lui permet de gagner une « rigueur » et d’encore plus développer sa sensibilité au « corps », un thème central dans son écriture.
En parallèle de cette formation, Thibaut peaufine son oreille. D’abord de manière passive, lors des moments de télé et radio passés avec ses parents, dont il retient Zazie ou Indochine. « Il y avait quand même un peu de poésie chez ces artistes-là », acquiesce-t-il. Puis de façon plus active, à l’adolescence, quand il pousse les portes d’Internet et qu’il entre en contact avec tout ce monde de musique. Françoise Hardy, Jacques Brel, Alain Bashung, et avant tout, Barbara, grâce à qui il découvre la « poésie chantée ». Avec le recul, Oete sait maintenant expliquer pourquoi ces chanteuses et chanteurs l’ont touché :
« Spinoza a dit une chose : “Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre”. Entre ces idées, il y a ce qu’on appelle la vérité, la sincérité absolue. Quand un artiste monte sur scène, il n’a même pas besoin de penser à son interprétation parce que c’est quelque chose d’inné. Tu vis ton truc. Et tous ces artistes-là ont en commun cette vérité. »
Puis il y a eu Niagara, une autre révélation. Lorsqu’il se familiarise avec leurs chansons, Thibaut est frappé par cette relation entre textes sombres et musicalité dansante — il reprendra le morceau Pendant que les champs brûlent. Une direction artistique qui va l’inspirer dans la confection de son premier disque, « Armes & Paillettes ». Écrits et composés de façon hyper instinctive, les titres qui forment cet album jouissent tous d’une sincérité sans faille. Des textes cathartiques, qui lui permettent de ressortir victorieux face à ses maux et ses angoisses, à l’image de La tête pleine, premier extrait de son projet lâché dans la nature.
Cette façon de transformer sa peine en art, elle vient de Daniel Darc, une autre influence majeure qu’il considère comme « une Béatrice Dalle, mais dans la musique ». Pour réaliser ce glissement de sensation présent sur la quasi-totalité de ses titres, Oete se base sur un thème central, le corps :
« Je crois avoir pris conscience de l’importance de cette enveloppe de l’âme. À quel point elle était précieuse et à quel point il fallait lui donner tout son amour plutôt que d’essayer de la détruire ou de la bâcher. Aussi, le corps situe socialement ta place dans la société : en tant que personne, que sujet. C’est quelque chose que j’ai essayé de trouver dans cet album. »
Mais, attention, ne lui parlez pas de revendication quelconque. Oete, dans le clip de son titre Défense, bien qu’il ressemble comme deux gouttes au Serge Gainsbourg photographié par William Klein sur la pochette de « Love on the Beat » (1984), ne calcule pas du tout cette idée de genre ou de codes. Il ne souhaite absolument pas être considéré comme le porte-parole d’une cause en particulier, et encore moins être enfermé dans « cette petite case bien jolie ».
À l’inverse, son combat est de prouver au plus grand nombre qu’aujourd’hui, un artiste peut faire une variété française qualitative. C’est pour ça qu’il décrit sa musique comme étant de la « variété alternative ». Un concept qui ôte toute once de « kitch » et qui prend racine dans les chansons de Christophe, des Rita Mitsouko ou de Niagara. En somme, ces artistes avec une « vraie valeur ajoutée dans leur musique ».
Cette démarche n’a pas laissé insensibles leurs descendants directs. Feu! Chatterton et Juliette Armanet ont ainsi proposé à Oete de l’accompagner pour assurer leurs premières parties. En plus de ces dates, il devra jongler avec les siennes. Puisque depuis ce mois d’octobre, le chanteur a entamé une série de concerts pendant lesquels il présentera « Armes & Paillettes ». Une aubaine pour cet artiste qui a toujours chéri la scène, là où tout a commencé.
Toutes les dates de tournées sont à retrouver via ce lien.
Crédit photos : ©Yann Orhan