2022 M07 28
C'est un exercice à haut risque auquel est confronté tout activiste à la tête d'une soirée alternative à succès. Comment grandir sans décevoir, ni trahir les préceptes de la première heure ? Une mission difficile, doublée, dans le cas de La Créole, d'un dilemme moral : rester inclusif et conserver ce côté laboratoire créatif alors que le phénomène grandit et que les sollicitations se font toujours plus nombreuses ?
Pour Vincent Frédéric Colombo, Fanny Viguier, Geoffrey Cochard et Steven Jacques, toutes ces questions semblent trouver leurs réponses naturellement. Depuis leur première soirée, actée en juin 2017, les quatre comparses n'ont cessé d'encourager le dialogue entre des musiques métissées (créoles, afro, latino, caribéennes, afrobeat, house).
Rassurée par une première soirée ayant réuni plus de 500 personnes, La Créole n'a cessé de répandre son énergie depuis : sollicité par Boiler Room, le collectif a fini par tisser des connexions avec différents labels ([Re]sources), certaines radios (Rinse FM), et a rapidement invité des artistes érudits à se charger des DJ sets. C'est le cas, par exemple, de Teki Latex et Lazy Flow, qui parle de La Créole comme du « seul endroit où l'on peut s'exprimer à 200% ».
Lazy Flow s’explique : « Avant ces soirées, je n’avais jamais vu un évènement aussi libre, sans jugements. Les gens sont sapés comme jamais, il y a tous les genres, toutes les sexualités, toutes les couleurs et tous les styles musicaux. C’est assez beau de voir tous ces gens danser frénétiquement sur des morceaux qu’ils n’écouteraient pas ailleurs. Il y a une forme de lâcher-prise, c’est inspirant. »
Au sein d’une époque où la vie nocturne est mise à mal par le Covid et les restrictions, une tendance se distingue : l'émergence des soirées undergrounds. La Créole représente en effet une belle alternative, où danser est le maître mot, où les gens s'expriment pleinement et célèbrent des musiques trop longtemps marginalisées. Avec réussite : le New York Times a tiré le portrait de Vincent Frédéric Colombo, le magazine anglais Dazed & Confused s'est plongé dans les coulisses de ces soirées, « parmi les meilleures de Paris », tandis que Boukan Records (Bamoa Yendé), King Doudou (PNL) ou Lala &ce font partie des habitués. C'est dire si elles incarnent une proposition inédite au sein des nuits parisiennes.
Parfois, des morceaux naissent même à l'issue de ces soirées. C'est le cas du dernier single de Lazy Flow, Awa Toko Bina, qui figurera au sein d’un EP de trois morceaux où chaque titre sera accompagné d’une pochette rendant hommage à La Créole. « C’est une sorte de grande photo de famille en même temps qu’un clin d’œil à ce public dont la folie et l’énergie m’inspirent au moment de créer », s'enthousiasme le DJ et producteur.
À écouter tous ceux qui ont eu la chance de fréquenter La Créole (vogueurs, DJ, artistes, modeux, etc.), au Chinois à Montreuil ou à La Machine du Moulin Rouge, tous parlent de ces soirées comme d'une libération, d'une parenthèse multiculturelle, voire même d'une fête bienveillante et pluridisciplinaire où photographes, performers de la scène ballroom, DJ, créatifs et anonymes se rencontrent sur la piste de danse en quête de nouveautés. « C'est d'autant plus vrai maintenant que l'afropop et l'afrobeats dominent les charts, croit savoir Lazy Flow. Cette tendance amène un nouveau public à La Créole, mais tous ces nouveaux adeptes comprennent vite que l'on ne vient pas ici pour écouter les derniers tubes. Ce qui prime, c'est la nouveauté et notre âme d'enfant : celle qui incite les gens à se lancer dans les danses les plus folles que j'ai pu voir. »
Et à reprendre en chœur, dans une euphorie à peine dissimulée, l'un des hymnes de La Créole : « Ma chatte est en feu / Oui, dis-le, si t'en veux encore un peu ».
Crédits photos : Fanny Viguier.