2023 M02 18
Bien avant que TikTok ne s’empare de son titre Jealous et ne le fasse rentrer dans le cercle très privé des cool kids, Eyedress était l’un des secrets les mieux gardés de la musique lo-fi. Seuls quelques rares initiés allaient le trouver pour collaborer. Parmi eux, la tête chercheuse King Krule l’avait déjà dans ses petits papiers. En 2015, soit deux ans après ses débuts officiels, l’Anglais, ici en mode Edgar The Breathtaker, posait sur son morceau Return of the Wicca Mane. En retour, le Californien d’adoption lui rendait la pareille sur The Cadet Leaps, un extrait de l’album « The Ooz » (2017). Mais ça, c’était avant.
Désormais exposé, il s’éclate avec les artistes les plus en vogue de la Cité des Anges, qu’ils soient de passage ou résidents, à la façon de Chad Hugo des Neptunes, Mac DeMarco ou encore Dâm-Funk.
Pour en arriver là, Idris Vicuña alias Eyedress a fait preuve de stakhanovisme. Lancé dans le game en 2013, cet artiste originaire de Manille et maintenant installé à L.A. n’a cessé de faire fi des genres qu’il a explorés. Tantôt pop, tantôt rap, parfois punk, d’autres rock, ces nombreux projets prouvent qu’en musique, la seule règle valide est qu’il n’y en a pas. Et pour le coup, il s’y tient. Difficile de ne pas y penser à l’écoute de son premier « vrai » album « Astral Traveling Man » (2015), qu’il a tout bonnement rayé de sa discographie. Un tour de chauffe avant la doublette « Manila Ice » et « Sensitive G » paru respectivement en 2017 et 2018. Puisque de nouveau, ces deux disques fourmillent d’idées et d’essais. Aussi, ils portent déjà cette patte lo-fi presque insolente, et typique de Los Angeles.
À ce côté ambassadeur du cool, il faut rajouter l’attitude. Celle d’un jeune-homme blasé, rappeur, rockeur et plus si affinité, qui utilise ses chansons pour expier ses angoisses et ses démons, dépasser ses rêves brisés et chasser ses peines de cœur. Galvanisé par sa rencontre avec sa future femme, il compose alors l’album « Let’s Skip to the Wedding » — « Passons directement au mariage ». Un disque de 19 pistes, dont (presque) chacune évoque son bonheur nouveau d’homme marié et de futur père.
Le cœur léger, Eyedress rempile en 2021 avec « Mulholland Drive », un hommage à peine caché à David Lynch. À la façon du réalisateur, le chanteur s’amuse des paradoxes. Bien entendu, pour ce disque, il choisit Los Angeles et ses musiques comme terrain de jeu. Rapides ou lents, brûlants ou glaciaux, clairs ou obscurs, il esquisse un portrait des sons qui rythment sa cité et sa vie. Une entreprise qu’il mène en bande, avec tous ceux ayant répondu à son appel ; King Krule, Dâm-Funk ou bien Vex Ruffin, soldat de chez Stones Throw Records.
En réalité, ce que préfère faire Eyedress, c’est tout à la fois. Alors, avec son album suivant, « FULL TIME LOVER » (2022) — le dernier publié jusqu’ici — il change de modus operandi. Pour assouvir cette volonté d’être au four et au moulin, il passe en mode deux en un : « C’est l’album où je mets tous les genres ensemble », dira-t-il simplement via son site officiel. Son originalité débordante n’inspire pas que les kids. Même Kevin Shields, cofondateur du groupe irlandais My Bloody Valentine, signe un remix de son titre House of Cards.
En 10 ans de carrière, Eyedress a sans cesse joué la carte de l’indépendance, fidèle parmi les fidèles aux Londoniens du label Lex Records (MF Doom, Danger Mouse…). Mais récemment, il a répondu à l’appel des sirènes de RCA Records, filiale du groupe Sony Music. Et à votre avis, qu’a fait le chanteur pour fêter cette association ? Exactement, de la nouvelle musique. Ce dernier morceau se nomme Flowers & Chocolate et son créateur le décrit ainsi : « [C'est] une chanson d’amour de fainéant sur le fait d’être trop défoncé pour se souvenir d’offrir des fleurs et du chocolat à sa partenaire ».
Vous commencez à le connaître, d’autant plus que certaines preuves ne trompent pas. En plus de cette signature, de ce dernier titre et de ce post Instagram où il est flanqué en studio, tout laisse à penser qu’un prochain album est dans les tuyaux.
Crédit photo en une : DR