Flashback : quand Björk illuminait le "Dancer in the Dark" de Lars von Trier

Couronnée par le prix d'interprétation féminine au festival de Cannes pour son rôle dans le long-métrage de Lars Von Trier, Björk se retrouvait subitement en 2000 sous les feux des projecteurs, tant pour son travail face caméra que pour la bande originale écrite pour l'occasion. Vingt-deux ans plus tard, et alors que le film est disponible sur myCANAL, cette victoire artistique se relit comme un véritable calvaire pour l'Islandaise.
  • Des musiciennes troquant les micros de studio contre un scénario, l'histoire de la pop en est pleine : Soko, Louane, Camélia Jordana, même Madonna. Mais rares sont celles à avoir vécu une expérience comme celle de Björk avec Lars Von Trier; le pire étant peut-être que le succès critique du film commercialisé en 2000 ne fit qu'empirer la situation. 

    Tout débute lorsque le réalisateur danois tombe par hasard sur le clip de It's oh so quiet, réalisé en 1995 par Spike Jonze. Obsédé par la musicienne, Lars Van Trier a alors une vision : l'Islandaise doit impérativement être l'héroïne de son prochain film racontant l'histoire de Selma, une ouvrière devenant peu à peu aveugle, et dont le salut viendra de la musique. Cette ambiance de comédie musicale, à la fois très orchestrale et naturaliste, colle effectivement parfaitement à celle qui a débuté sa carrière de chanteuse à l'âge de 12 ans ("Björk") qui devient numéro 1 en Islande dès 1977. La suite, on la connaît : la musicienne explose avec The Sugarcubes puis se lance en solo avec deux cartons mondiaux, Army of me et Bachelorette. Arrivée à la fin des années 2000, elle est déjà la plus grande star d'Europe du nord.

    La seule chose que Björk n'avait pas prévue, c'était donc de devenir actrice et de donner la réplique à Catherine Deneuve. Mais devant l'insistance du réalisateur Lars Von Trier, elle finit par céder et consent même à écrire la bande-originale, telle qu'on peut l'entendre aujourd'hui sur l'album nommé "Selma Songs". Vingt-deux ans plus tard, le film comme la musique restent splendides, d'une beauté très européenne, comme un espace créatif entièrement construit autour de l'Islandaise, qui irradie. Pourtant, comme cette dernière le concèdera un peu plus tard aux Inrocks, tout ne n'est pas passé exactement comme prévu : 

    "Pendant des mois, j’ai tenu bon, j’ai refusé de jouer, me contentant de composer et lui répétant qu’il ferait mieux de penser à une vraie actrice. Mais au bout de deux ans, il m’a dit qu’il abandonnerait le film si je ne jouais pas dedans. Moi, j’avais déjà composé toutes les musiques et il m’a eue au chantage. Je n’avais pas envie de voir deux années de travail partir en fumée. Ça a été une période très difficile. [...] J'ai détesté faire l'actrice. Vraiment, j'aurais dû me contenter de la musique".

    Hélas, trop tard, le sacre est déjà en cours. Présenté à Cannes la même année, le film obtient la Palme d'Or et Björk, celui du Prix d'interprétation féminine. Quant à la B.O., il s'en écoulera presque 50 000 copies aux USA en moins de deux semaines.

    Le titre I've seen it all, extrait de la bande originale et placé sur l'une des scènes majeures du film, permettra à l'Islandaise d'entrer dans une nouvelle dimension. Une dimension dont la principale intéressée souhaitera s'extirper au plus vite, usée de devoir lutter contre son propre caractère, elle qui est d'un naturel plutôt réservé et introspectif. Et ce n'est que bien plus tard, après avoir digéré la mauvaise expérience, que Björk accusera publiquement le réalisateur d'harcèlement sexuel. De quoi la vacciner à jamais contre un éventuel retour au cinéma. A ce jour, elle a tenu sa promesse : la musicienne ne joue plus que dans ses propres clips, en dépit d'une apparition fugace dans The Northman, cette année.

    Musicalement, Dancer in the Dark reste malgré tout un chef d'oeuvre, accouché au forceps pendant 3 ans par Björk dans une maison louée à Copenhague. Aujourd'hui, difficile de revoir ou écouter ces mélodies en fermant les yeux (sic) sur les coulisses de cette étrange création, qui reste pourtant d'une beauté à couper le souffle. Et permettra à l'Islandaise de s'imposer au final comme une artiste radicale dans ses choix, bien avant que le mot "empowerment" n'existe. Une vérité qui devrait être encore confirmée avec la sortie prochaine de "Fossora", son prochain album.

    Dancer in the dark, à revoir sur myCANAL jusqu'au 31 octobre. 

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