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Steven Spielberg et John Williams forment l’un des couples les plus inséparables du cinéma. Ils ont fêté l’année dernière les cinquante ans de leur rencontre en 1972, juste avant leur première collaboration sur Sugarland Express (1974).
Depuis, leur association a engendré certains des plus gros succès de l’histoire du cinéma, des deux notes terrifiantes (mi-fa) annonçant le requin des Dents de la mer (1975) à la mini-mélodie permettant de communiquer avec les extraterrestres dans Rencontres du troisième type (1977).
"You still got it!"#JohnWilliams stretches his fingers on the ivories during the scoring sessions of #StevenSpielberg's #TheFabelmans pic.twitter.com/hi9HqU0Kdm
— The Legacy of John Williams (@TheLegacyofJW) November 3, 2022
Autant dire que lorsque Spielberg a décidé de raconter enfin une bonne partie de son histoire personnelle dans un film, il n’y avait pas d’autre choix que son partenaire de toujours pour en composer la bande originale. Et malgré ses 90 ans, John Williams ne s’est pas fait prier pour repousser encore l’âge de sa retraite, afin de s’atteler à cette tâche d’autant plus délicate que la musique joue un rôle primordial dans l’histoire de "The Fabelmans".
La mère de Steven Spielberg – Leah Adler, inspiration du personnage de Michelle Williams – était en effet une pianiste professionnelle qui jouait les partitions des plus grands sur le piano familial, comme on le voit à plusieurs reprises dans le film, qui montre aussi le rôle décisif qu’elle a joué pour encourager les envies de cinéma du petit Steven. Mais c’était aussi une femme tourmentée et malheureuse, à qui Spielberg rend un hommage assez magnifique avec The Fabelmans.
Cette figure maternelle tragique est au centre de The Fabelmans, et John Williams l’a bien compris en composant une bande originale beaucoup plus discrète que ses thèmes musicaux les plus connus.
Point de dinosaures ni d’extraterrestres ici : l’histoire personnelle de Spielberg appelait une partition délicate qui ne cherche pas grossièrement à nous tirer des larmes. Williams a donc opté pour une orchestration limitée, se reposant largement sur le piano joué par Joanne Pearce Martin, la pianiste de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles.
Et évidemment, cette sobriété fait mouche et émeut plus qu’une mélodie pompière. Spielberg lui-même ne s’y est pas trompé : lorsque Williams lui a joué pour la première fois la mélodie principale du film, il est resté sans-voix et n'a pu retenir ses larmes.
Plutôt que de nous assommer pendant les 2h30 du film avec une bande originale omniprésente comme cela se fait beaucoup aujourd’hui à Hollywood, John Williams a préféré réserver les apparitions de sa musique aux moments intimes les plus importants de la famille Fabelman.
C’est le cas d’une des plus belles scènes du film, celle où le personnage de la mère danse devant les phares de la voiture familiale lors d’une excursion en camping. John Williams remplace alors le piano par le célesta, ce clavier à percussion au son si doux, dont il tire une mélodie délicate qui accompagne à merveille ce qui ressemble à une rêverie douce-amère du jeune Spielberg, qui filme la scène.
Plus rien n’existe dans ce moment suspendu dans le temps, à part la photo 35 mm de Janusz Kamiński, la performance oscarisable de Michelle Williams, et la musique de John Williams.
Et si vous préférez votre musique de film avec un peu plus d’emphase, on ne peut que vous conseiller jusqu’au terme du générique, accompagné par un thème de fin – The Journey Begins – guilleret et richement orchestré qui rappelle les compositions les plus populaires de John Williams.
Pourtant, si la bande originale de The Fabelmans faisait figure de favorite lors des derniers Oscars, elle en est repartie étrangement bredouille – comme le reste du film. Et ce n’est pas faire injure au compositeur Volker Bertelmann que de dire que l’Oscar de la meilleure musique de film remporté par À l’Ouest, rien de nouveau est un peu exagéré, comme les autres récompenses récoltées par le long-métrage de Netflix.
Bien sûr, John Williams n’avait pas besoin de cette victoire pour cimenter sa réputation parmi la profession : avec cinq Oscars remportés et surtout 53 nominations, il est la deuxième personne la plus souvent en compétition à la cérémonie derrière un certain Walt Disney.
Mais on aurait bien aimé le voir récompensé une dernière fois pour l’ultime cadeau que constitue la BO de The Fabelmans, d’autant qu’il s’agit peut-être de sa dernière œuvre et donc de sa dernière collaboration avec Spielberg. Heureusement, le film semble l’avoir décidé à continuer. John Williams ne peut pas mourir.