2020 M04 16
Depuis deux décennies, certains n’hésitent même plus : « Virgin Suicides » serait la meilleure bande originale de tous les temps. Au milieu des superlatifs qui inondent quotidiennement internet, cette affirmation est dure à contrer tant la réécoute de cet album magique, flippant et gazeux, reste 20 ans après un moment particulier.
Particulier, l’enregistrement de la B.O. de Virgin Suicides le fut tout autant. Fin des années 1990, Nicolas Godin et JB Dunckel sont devenus des superstars planétaires en un seul album (« Moon Safari ») qui les a instantanément placés sur la carte French touch – même si les deux Français, de par leur culture et leurs goûts, sont un peu plus que ça. Histoire de faire taire ce hiatus, et plutôt que de céder aux sirènes et sollicitations des labels pour un deuxième album forcément décevant – plutôt difficile de faire plus efficace que Sexy boys, non ? – le duo préfère s’embarquer avec lucidité dans une aventure plus risquée : la composition de la musique du premier long-métrage de Sofia Coppola, fille de, elle-même attendue au tournant. Un pari plutôt risqué qui va contre toute attente se transformer en immense jackpot.
On le sait peu, mais pour confectionner cette B.O. autant influencée par le « Melody Nelson » que par les premiers Pink Floyd, Godin et Dunckel se sont en réalité inspirés d’une vieille technique pour la musique à l’image : composer face aux images livrées par Coppola, comme Miles Davis avant eux avec la B.O. d’Ascenseur pour l’échafaud. « Les premiers rushs que nous avons vus étaient vraiment sombres et profonds, expliquera en 2015 Dunckel à Stereogum, alors nous avons commencé à faire des trucs très dark, de la musique qui était comme passée de la lumière à quelque chose d'assez sombre. » Rapidement, le duo comprend que la réalisatrice est en train de changer son fusil d’épaule pour troquer toutes les scènes les plus trash contre des vignettes épurées où le mal-être et le suicide seront évoqués de façon moins directe. Conclusion : seulement 20% des musiques composées par Air seront utilisés dans le film, mais ces 20 % suffiront à faire de Virgin Suicides l’anti-teen movie par excellence.
Ce suicide à la fois scénaristique et commercial vaudra à la B.O. une Victoire de la musique l’année suivante. Même la participation de Thomas Mars de Phoenix sur le « single » Playground Love, avec son saxo romantique de film noir, ne suffira pas à enterrer cette idée que « Virgin Suicides » n’est pas un disque à mettre entre toutes les mains.
Avec cet album loin d’être irrespirable, Air gagnera ses galons de groupe inscrit dans la durée, loin des charts immédiats, et livrera dans la foulée l’un de ses disques les plus expérimentaux, « 10 000 Hz Legend ». Coppola, quant à elle, enchainera avec Lost in Translation (où l’on retrouve Air avec le titre Alone in Kyoto) puis Marie-Antoinette, où les deux Versaillais feront une apparition furtive avec la bande de Phoenix, en figurants.
Le destin de "Virgin Suicides" sera paradoxalement radieux. Acclamé un peu partout sur la planète, il reste absolument indémodable. Difficile de trouver une meilleure conclusion que celle de Pitchfork à l’époque : « [Avec un disque pareil] pas étonnant que ces vierges se soient suicidées. »