2022 M12 13
Chaque année, l’institut Luminate Data – anciennement Nielsen SoundScan, fournisseur des chiffres officiels des charts Billboard – publie un bilan économique annuel de l’industrie de la musique.
On ne dispose pas encore de la version 2022, mais l’édition 2021 et surtout le bilan semestriel sorti cet été confirment tous les deux le même phénomène, à savoir que la musique dite de « catalogue » (vieille de plus de 18 mois) cartonne de plus en plus sur les services de streaming, au détriment des sorties les plus récentes.
En 2021, la part du catalogue dans les écoutes atteignait ainsi presque 70% (contre 65 en 2020), et le volume écouté dans cette catégorie augmentait de 19,3%. À l’inverse, les nouveaux morceaux ne représentent plus que 30% environ des écoutes (contre 35 en 2020), pour une baisse de volume de 3,7%.
📈 For the first time since MRC Data began tracking streaming music in 2008, streaming of music released less than 18 months ago declined. Catalog’s share of the audio on-demand streaming universe rose to 76% in 2021 vs 66% in 2020
— A2IM (@a2im) January 7, 2022
Cela n’a peut-être l’air de rien, mais c’est une petite révolution, puisque c’est la première fois depuis que l’institut mesure les chiffres du streaming que le volume de musique actuelle écoutée baisse d’une année sur l’autre. Et sur les six premiers mois de l’année 2022, cette tendance entamée pendant les premiers confinements en 2020 s’amplifie, puisque la part de la musique de catalogue grimpe à 72,4%, avec une augmentation du volume d’écoute de 14%, contre une baisse de 1,4% pour les nouveaux morceaux.
Un autre signal inquiétant est donné par l’industrie de la musique elle-même, puisque les catalogues des vieilles gloires du rock se revendent en ce moment pour des centaines de millions de dollars entre fonds d’investissement et labels, qui font monter les enchères plutôt que d’investir dans la carrière de nouveaux artistes. Et il faut bien sûr ajouter le vinyle désormais hors de prix, un support septuagénaire qui fait un tabac grâce aux rééditions bien plus qu’aux nouveaux albums.
Pour expliquer les chiffres évoqués plus haut, il faut d’abord avoir à l’esprit que des personnes de plus en plus âgées utilisent les services comme Spotify, historiquement plutôt plébiscités par les plus jeunes. Et comme les études montrent que la majorité de la population arrête d’écouter de nouveaux artistes après 30 ans, on comprend mieux pourquoi les fonds de catalogue ont la côte sur les services de streaming si ces derniers sont envahis par les boomers.
Mais ce ne sont pas les boomers qui sont responsables de l’explosion de Kate Bush, Metallica, The Cramps ou Gerry Rafferty sur Spotify en 2022, mais les superviseurs musicaux des séries les plus populaires auprès de la Génération Z, qui piochent très généreusement dans la musique des décennies passées pour habiller les épisodes de Stranger Things, Mercredi, Umbrella Academy ou encore Euphoria.
Pour évaluer par exemple l’impact délirant de la première série Netflix citée sur les chiffres de la plateforme Spotify, il suffit de savoir que le Running Up That Hill de Kate Bush fait tout simplement partie des 4 morceaux les plus écoutés au Royaume-Uni en 2022.
L’autre grand facteur favorisant la popularité des vieux morceaux, c’est évidemment le réseau social TikTok, où l’on retrouve en masse les artistes cités juste au-dessus dans des vidéos, mais aussi d’autres phénomènes viraux autour d’ABBA, Fleetwood Mac, Boney M ou encore Bill Withers.
Ces nouveaux prescripteurs virtuels jouent un rôle essentiel, car il est probable que si vous recommandiez aux jeunes membres de votre famille d’écouter le Goo Goo Muck des Cramps avec votre voix de vieux croulant et vos tee-shirts punk trop petits, personne ne vous écouterait.
Mais quand le même morceau apparaît dans la dernière série Netflix qui s’impose dans toutes les discussions pendant des semaines, il devient instantanément beaucoup plus cool.
Et dans la période incertaine et déprimante que nous vivons, il ne faut pas négliger non plus le réconfort que l’on peut tirer de l’écoute d’albums « doudous » plutôt que des nouveautés, sans oublier que pour les diggers de la musique du passé, les services de streaming représentent une mine d’or sans fond et une bénédiction inimaginable il y a seulement vingt ans.
Pour autant, la musique récente n’a pas dit son dernier mot. Toujours selon Luminate Data, pendant le premier semestre 2022, plus d’un tiers des écoutes de la musique de catalogue s’est faite sur des morceaux sortis entre 2017 et 2019, ce qui peut au moins rassurer un peu les artistes actuels sur le fait que leur musique ne disparaît pas forcément immédiatement au milieu des 100 000 titres qui sortent chaque jour sur Spotify.
Reste un éternel débat qui n’a pas encore été tranché par des sondages et qui pourrait expliquer ou pas la domination de la nostalgie du passé : est-ce que la musique était mieux avant ? On vous laisse avec cette interrogation, on retourne écouter de la musique honteuse – actuelle et ancienne – en secret.