Pourquoi y'a-t-il autant de festivals en Bretagne ?

Cet été encore, la Bretagne accueillera une foule de festivals majeurs, dans tous les styles. Comment cette région a-t-elle réussi à devenir aussi incontournable ? Et pourquoi les drapeaux bretons sont devenus un incontournable de chaque concert à l'air libre ? On fait le point.
  • Vieilles Charrues, Art Rock, La Route Du Rock, Motocultor, Transmusicales, festival du Roi Arthur, Binic Folk Blues Festival, et on pourrait continuer encore longtemps : parmi les plus grands festivals de France, ils sont nombreux à se dérouler en Bretagne. En 2019, 16 d’entre eux ont accueilli plus de 10 000 spectateurs. Si d’autres régions comme PACA ou l’Occitanie organisent un plus grand nombre de festivals, aucun n’accueille autant de moments aussi fédérateurs. C’est aussi en Bretagne que se déroule le festival qui réunit le plus grand nombre de spectateurs chaque année : les Interceltiques de Lorient, avec 800 000 spectateurs en 2019, et 80 000 par jour. Plus largement, c’est la région où la densité de festivals est la plus forte, avec 1 pour 20 à 25 000 habitants.

    Comment une telle profusion est-elle possible ? Difficile d’avoir une réponse, puisque les facteurs sont très nombreux, et le hasard y joue probablement un rôle. Mais on peut avancer quelques pistes. Déjà, la Bretagne partage avec la Normandie une certaine proximité géographique avec le Royaume-Uni, qui a pu aider la diffusion des musiques électrifiées. Des villes comme Rennes, notamment, ont été parmi les premières à faire exister le rock hors de Paris, et faire valoir des artistes comme Marquis de Sade, Ubik ou Étienne Daho. Tous se sont fédérés autour des Transmusicales, qui ont ainsi pu jouer un rôle moteur dans le développement des festivals bretons. Mais cela ne suffit pas : la Normandie est elle aussi terre de rock, en particulier la ville de Rouen, sans pour autant multiplier les festivals.

    Sans doute la Bretagne a-t-elle également bénéficié des politiques publiques et de la régionalisation. C’est particulièrement suite à l’élection de François Mitterrand en 1981 que les subventions culturelles ont soutenu des projets régionaux. C’est grâce à cette inflexion des politiques culturelles que de nombreux festivals bretons ont pu se structurer et se professionnaliser. Et si la Bretagne a particulièrement misé dessus, c’est parce qu’elle est historiquement de gauche, et a donc facilement emboîté le pas de Mitterrand et Jack Lang. Plus largement, les politiques locaux ont vite compris l’intérêt des festivals au niveau de l’attractivité et du tourisme. Ainsi, c’est dans les années 1990-2000 que de nombreux festivals historiques voient le jour. Le lien entre politique et festivals est évident pour ce qui est des Vieilles Charrues : son cofondateur est Christian Troadec, qui abandonne la présidence du festival en 2001 après avoir été élu maire de Carhaix, ville qui accueille le festival. Par la suite, il devient une figure importante du mouvement des Bonnets Rouges.

    Là encore, une telle réponse ne suffit pas : l’Occitanie est elle-même historiquement de gauche, et si elle organise de nombreux festivals, peu atteignent l’ampleur de leurs homologues bretons. Peut-être faut-il chercher plus profondément dans la culture de la région. Depuis le XXème siècle, et particulièrement les années 70, le mouvement régionaliste breton a pris une grande ampleur. Musicalement, des artistes comme Alan Stivell ou Dan Ar Braz ont modernisé la musique traditionnelle de la région. Ainsi, alors que le modèle des festivals de pop se développe, la Bretagne possède déjà tout un réseau de fêtes : les fest noz. Et ceux-ci sont en train de se moderniser. En 1905, la ville de Douarnenez organise le festival des Filets Bleus, qui se poursuit encore aujourd’hui. Si on y ajoute les Interceltiques, on voit que cet aspect régional fort participe à l’attractivité et au développement des festivals locaux.

    Un festival en particulier incarne ce lien entre musique régionale et musiques pop : les Terres-Neuvas à Bobital, organisées entre 1997 et 2008. Au départ plus axé sur la musique bretonne, il s’est ouvert à la chanson, au rap, avant de mettre sur l’accent sur des styles plus lourds, accueillant Mass Hysteria, Rammstein ou Marilyn Manson. En 2007, 140 000 personnes s’y sont rendues, ce qui en faisait le deuxième plus grand festival du pays derrière les Vieilles Charrues. Mais dès l’année suivante, un réseau de faux-billets plombe ses recettes et entraîne sa liquidation judiciaire. Malgré tout, son parcours montre bien l’importance des musiques régionales dans le développement des festivals.

    C’est peut-être cet aspect identitaire qui explique cette éternelle énigme : pourquoi trouve-t-on des drapeaux bretons partout. Créé dans les années 1920 à partir des couleurs de Rennes, ce drapeau est par la suite devenu le symbole de la région et de son indépendance. En 1968, il devient même signe de résistance avec son installation sur le toit de la Sorbonne. Son aspect revendicatif s’estompe avec le temps, pour devenir une représentation plus neutre de la Bretagne. La fierté de ses habitants et la popularité de ses festivals ont donc probablement fait le reste. Ne reste qu’à ajouter une couche de business, avec des fabricants de drapeaux ravis d’en fabriquer par dizaines de milliers, et leur omniprésence a un début d’explication. Pour les drapeaux comme pour les festivals, il semble qu’il faille chercher dans les racines même de la région pour expliquer leur popularité. Chauds comme la Breizh, donc.