2020 M10 29
Le fait que Daniel Balavoine se voit consacrer trois ouvrages en novembre n'a rien d'étonnant. Les 35 ans de sa disparition approchent, et les éditeurs y voient sans doute là l'occasion de combler les fans du chanteur. Ce qui est surprenant, en revanche, c'est le manque de considération dont semble jouir l'auteur de Je ne suis pas un héros de la part des magazines spécialisés, traditionnellement plus réceptifs à la chanson française de Bashung, de Christophe ou de Françoise Hardy - en somme, quand celle-ci est intellectualisée, plus élégante que spontanée.
À l'inverse, Balavoine semble particulièrement apprécié par une nouvelle génération d'artistes élevés aux algorithmes Spotify et YouTube. Il y a Fishbach, qui en parle comme son « chouchou incontesté », Christine & The Queens, Yseult, qui reprend SOS d’un terrien en détresse, ou encore des rappeurs de la trempe de Youssouhpha, Orelsan et Soprano, tous séduits par ce sens de la mélodie indéniable, en même temps que par ses propos engagés, directs et accusateurs.
Il semble pourtant injuste de limiter Balavoine à ses quelques tubes, qui trônent tout en haut de la discographie de vos parents. Derrière le succès de « Starmania », Balavoine, c'est surtout cet « enfant caché du rock », pour reprendre le titre du livre de Valérie Alamo et Stéphane Deschamps ; ce chanteur capable de monter très haut dans les aigus, comme pour donner du relief et de la consistance à ses textes ; cet homme convaincu qui interprète des phrases à reprendre telles des slogans : « Aimer est plus fort que d’être aimé », « Vivre ou survivre », « Les juges et les lois, ça m’fait pas peur » ou même ce fameux « la jeunesse française se désespère, elle ne croit plus en la politique », balancée en pleine face à François Mitterrand un soir de mars 1980 sur le plateau d’Antenne 2.
C'est aussi un artiste extrêmement audacieux qui, à 25 ans à peine, à la fin des années 1970, met au point un album concept, nourri au rock progressif : « Les aventures de Simon et Gunther », soit l'histoire de deux frères allemands séparés par le mur de Berlin. De l’ouverture Correspondances à l’ultime Ma musique et mon patois, tout y est : les références historiques (la Bernauer Straße, où les Berlinois de l'Est tentaient de s'évader), la politique, les drames, l'injustice sociale (« C'est trop difficile de s'évader/ Les hommes en vert ont tiré »), les tubes (Lady Marlène), ainsi qu’une trame suffisamment forte pour que Michel Berger ait un jour rêvé de l’adopter en spectacle. Un projet malheureusement tombé à l'eau après la disparition de son ami dans un tragique accident d’hélicoptère en 1986.
D’un point de vue musical, de nombreux éléments éloignent pourtant Daniel Balavoine de Michel Berger : quand ce dernier séduit grâce à la sensibilité de sa musique, à la fois timide et exacerbée, c’est la frontalité qui permet à celui qui chantait Revolucion de traverser les époques, son urgence, son désir de sincérité et son ambition, tout aussi pop qu’un titre d’Etienne Daho ou une photographie de Pierre et Gilles, mais nettement plus concernée par les bas-fonds, l’urbanisme (Banlieue Nord), la délinquance juvénile (Quand on arrive en ville), l'antiracisme (L'Aziza) et les refrains interprétés à gorge déployée (La vie ne m'apprendre rien).
Toutefois, là où la variété cède régulièrement à la surenchère, à la virtuosité, lui reste au contraire solennelle, ne vire jamais au pathos, au théâtral et conserve systématiquement cette rage héritée du rock – le fait qu’il soit mort jeune, 33 ans, lui a également permis, contrairement d’autres, d’éviter de devenir un gros lourdaud, rincé et grotesque. Mieux, Balavoine nourrissait de grandes ambitions pour l’avenir : à l’instar de ce qu’ont fini par entreprendre des artistes comme Christine & The Queens ou Yelle, bien des années plus tard et dans des styles très différents, il visait l’international avec un album interprété en anglais.
On ne sait pas ce que ça aurait donné, mais ça vient confirmer que Balavoine n'avait rien à voir avec ces « vendeurs de larmes » de la variet', qu'il méprisait. Ce qui l’intéressait, c’était le rock progressif, la pop anglaise des années 1960, la scène californienne, et c’est avec la même attention accordée aux artistes de ces différentes scènes, le même respect et la même admiration, qu'il convient de considérer son œuvre, riche de huit album solo.