Raconte-moi un classique : « Éternel Recommencement » par Youssoupha

Dans cette nouvelle rubrique, Jack part à la rencontre des rappeurs et leur demande de raconter les coulisses d’un de leurs morceaux phares. On commence avec « Éternel Recommencement » de Youssoupha, un titre long de six minutes et dépourvu de refrain. Pas vraiment un tube, donc…

Rappeur amateur. En 2005-2006, j’étais loin de penser pouvoir faire carrière dans le rap. J’étais à la fac, j’espérais trouver un job et, comme je galérais, je me suis dit que j’allais sortir un petit projet pour tuer le temps. Un dimanche, je vais voir mon compositeur de l’époque, Prod, pour écouter de nouveaux sons. Problème : il avait l'impression d’avoir utilisé tous les samples à sa disposition et n’avait pas vraiment d’autres idées à me proposer.

Je l’emmène alors dans un vide-grenier organisé le même jour et là, on achète deux-trois vinyles parmi les 15 000 disponibles. Parmi eux, il y a ce disque de Michel Sardou où il chante : « J’ai laissé au bout du monde / Dans le ventre d'une blonde / Un enfant qui me survivra. » J'aimais l'idée, mais pas Sardou... J'ai donc choisi de détourner cette boucle et d'écrire cette phrase : « J'mélange mes fantasmes et mes peines / Comme dans c'rêve où ma semence de nègre fout en cloque cette chienne de Marine Le Pen. »

Une idée germe. Cette phrase, sans le savoir, m'avait donné une thématique, mais qui a fini par me saoûler. Trop classique, trop évidente. J'ai donc laissé le texte de côté pendant un temps. Jusqu'au jour où, alors que j’étais en vacances en Espagne avec ma femme, je profite d’un après-midi sur la plage pour le reprendre et balancer tout un tas d’idées, en mode freestyle. Éternel recommencement est né comme ça : dans l’idée d’avoir un stock de punchlines au cas où on me proposerait de poser un freestyle un jour. Comme j'étais fan de Memento et du Sixième Sens à l'époque, j'ai simplement rajouté une petite astuce en conclusion, quelque chose qui fait que la fin du morceau est également le début...

De là, les gens ont commencé à halluciner en écoutant le titre, des mecs comme Harcèlement Textuel appelaient le standard de la radio Générations pour savoir qui avait écrit ce titre. Je n'avais pas de studio, personne ne me connaissait, j'étais un peu Sixto Rodriguez à ce moment-là. Même JoeyStarr, lors d’une soirée, est venu me voir. Il m’a attrapé par le cou, m'a demandé si j’étais bien Youssoupha et m’a dit : « C’est pas pour te sucer la bite, mais t’es incroyable ! » Ça me faisait plaisir de recevoir autant de bienveillance.

En phase. Très vite, Philo, mon producteur, m’a dit de nommer mon projet du même nom que ce morceau, c’était celui qui ressortait, celui qui allait à contre-courant. Pourtant, il y a plein d’aberrations dans ce texte, comme lorsque je dis : « Viens dans nos contrées avant de dénigrer / Comme Sarkozy ce fils de Polonais qui n'aime pas les immigrés. » Il est d’origine hongroise Sarkozy…

Mais bon, c’était un freestyle, je balançais tout à l’instinct, je ne pensais pas que ça deviendrait un titre majeur, du genre à susciter l’euphorie en concert quinze ans plus tard. Par contre, c’est vrai qu’il contient tout un tas de punchlines assez fortes. Il y a ce : « J'ai plus d'amour pour l'sheitan que pour certains chefs d’États d’Afrique » que ma mère n’aimait pas. Il y a aussi : « Je suis tellement dos au mur que ma colonne vertébrale est en ciment. » Enfin, il y a ma préférée, placée à la fin du morceau : « Sinistre a bien compris c'est quoi l'rap / Faire d'la musique pour un éveil communautaire pour moi c'est ça l'rap. » C’était un clin d’œil à un rappeur de La Malédiction du Nord, un groupe hyper sous-côté, mais aussi une façon de balancer ma vision du rap.

Crédits photo : Fifou.

Youssoupha est actuellement en tournée dans toute la France, avec notamment une date mythique à la Salle Pleyel le 18 avril.