2023 M10 30
6. "Ash & Ice" (2016)
On trouve quelques circonstances atténuantes aux Kills pour cet album où l’essoufflement est manifeste. Après "Blood Pressures", le pauvre Jamie Hince s’est non seulement détruit une main dans un accident de portière de voiture – ce qui l’a obligé à changer profondément sa façon de jouer de la guitare – mais son mariage très médiatisé avec Kate Moss a aussi pris fin.
Cela explique sans doute la tonalité très déprimante de "Ash & Ice", où l’excitation des débuts a été remplacée par la tristesse de l’âge adulte. Rien de problématique jusque-là. Non, cet album souffre en réalité d’un handicap assez simple : ses morceaux ne sont tout simplement pas aussi mémorables que les précédents.
"Ash & Ice" est le premier album des Kills sur lequel on ressent vraiment pour la première fois un sentiment de lassitude et de répétition – Heart Of A Dog n’est pas le meilleur single du duo, c’est un doux euphémisme –, malgré quelques bonnes surprises – Siberian Nights, Impossible Tracks, Hum for Your Buzz et Echo Home notamment.
Malheureusement, ces dernières sont noyées dans un ensemble trop long qui manque aussi un peu de cohérence et surtout de conviction. "Ash & Ice" ferme donc logiquement la marche de cette liste. Mais pris à part, ce n’est pas un mauvais album.
5. "Blood Pressures" (2011)
Voilà un album bien difficile à classer. Il faut lui reconnaître qu’il fut le premier à faire évoluer la machine bien huilée mais un peu prévisible des Kills, avec des morceaux plus étoffés et une production moins rachitique.
Quand la réalisation est à la hauteur des ambitions, cela donne quelques moments vraiment attachant – le pont maousse de Future Starts Slow, les chœurs lancinants de Satellite, la balade The Last Goodbye et son mellotron, Baby Says et son gros riff emprunté à Gimme Shelter, et surtout Pots And Pans et sa coda stadesque sortie de nulle part qui reste dans la tête.
Malheureusement, "Blood Pressures" est aussi plombé par quelques morceaux quelconques voire un peu plus : le Wild Charms chanté par Jamie Hince en solo est un gentil ratage et la sonorité ping-pong des percussions de Heart Is A Beating Drum est vite exaspérante.
Néanmoins, notre tendresse pour cet album reste intacte : c’est la dernière fois que l’on a entendu Jamie Hince triturer violemment sa guitare, et Alison Mosshart y est vocalement à son climax. Bref, "Blood Pressures" est un peu sous-estimé, et il mériterait sans doute mieux que cette place dans le classement.
4. "God Games" (2023)
Si l’on parvient à passer outre son affreuse pochette, il faut bien dire que le dernier album des Kills est leur meilleur depuis un bon moment. Vingt ans après ses débuts, le duo a finalement décidé d’envoyer complètement balader son esthétique lo-fi minimaliste, et c’est une excellente nouvelle pour sa vitalité artistique.
Bénéficiant d’une grosse production de Paul Epworth – l’ingé son de leurs débuts devenu un grand nom de la pop –, "God Games" est un album où les Kills surprennent quasiment à chaque morceau en ralentissant le tempo et en laissant largement de côté les guitares qui ont fait leur réputation, au profit de claviers qui donnent envie de rouler au pas sur Sunset Strip au crépuscule.
Largement influencés – entre autres – par le trip-hop, ils ont surtout composé quelques jolies mélodies hors du temps, comme le piano-voix très réussi de Blank et My Girls My Girls, ballade réhaussée par des chœurs gospel irrésistibles.
On les retrouve sur LA Hex, pas avare non plus en cuivres, comme le surpuissant titre qui ouvre l’album (New York) et qui risque de déclencher une crise d’apoplexie chez les fans de la première heure et donc de leur faire rater les deux titres les plus « Killsiens » de "God Games", 103 et Wasterpiece. On applaudit la prise de risque.
3. "Midnight Boom" (2008)
Le troisième album des Kills représente une période charnière dans la carrière du duo. C’est le moment où on considère généralement qu’il a été avalé par des enseignes de mode pour qui l’imagerie rock sert à vendre du prêt-à-porter troué hors de prix. Jamie Hince commence alors aussi à fréquenter Kate Moss, les morceaux des Kills inondent les séries à la mode, et le duo incarne désormais une sorte d’objet cool, poseur et vendeur, soit tout ce qu’il conspuait à ses débuts.
Mais musicalement, "Midnight Boom" est loin d'être une imposture. Cet album qui a mis deux ans et demi à se concrétiser et a qui bien failli ruiner les Kills – d’où les contrats publicitaires – en vaut presque la peine. Le duo s'y aventure avec un certain succès dans des contrées plus pop, avec pour la première fois l’aide d’un producteur extérieur (XXXChange).
Certes, le résultat est parfois un peu putassier, mais on ne peut pas nier que "Midnight Boom" contient une dizaine de petites bombes capables de vous faire tremper votre tenue The Kooples sur le dancefloor. Artificiel ? Bien sûr, mais c’est aussi la dernière fois que la musique des Kills a été aussi chargée sexuellement, et cette époque lointaine mais pas si innocente suscite aujourd’hui forcément une pointe de nostalgie.
2. "Keep on Your Mean Side" (2003)
On peut aisément arguer que les Kills n’ont jamais été aussi bons que la première fois. Lorsqu’ils débarquent au début des années 2000, ils sont animés par une énergie primitive et une attitude frondeuse qui engendrent des concerts mémorables. Et assez miraculeusement, ils parviennent à conserver ces ingrédients sur leur premier album, le très bien nommé "Keep on Your Mean Side".
On y entend des influences alors complètement tombées dans l’oubli – Suicide et The Jesus & Mary Chain entre autres – et surtout un duo qui réinjecte une dose de tension sexuelle dont le rock avait bien besoin en 2003. Contrairement à leurs contemporains (parfois brillants), les Kills des débuts dégagent aussi un sentiment un peu malsain, à la fois sale et dangereux, en raison de leur son très déglingué et de leurs références sulfureuses à Florence Rey.
Les morceaux de "Keep on Your Mean Side" sentent le stupre et le soufre et posent les bases du minimalisme volontairement répétitif des Kills, un duo où une chanteuse enragée aux capacités vocales sous-cotées (Alison Mosshart) et un guitariste qui maltraite bizarrement son instrument (Jamie Hince) semblent vouloir se battre au corps à corps mais aussi ensemble contre le reste du monde. Une recette parfaite dès le premier essai ? Pas tout à fait.
1. "No Wow" (2005)
Ce choix n’a pas été très difficile, et on oserait même dire qu’il doit faire consensus. Dès leur deuxième album, les Kills ont atteint l’apogée du style façonné sur "Keep on Your Mean Side".
Encore plus brutal, sombre et méchant que son prédécesseur, "No Wow" est l’album où plus que jamais, on a envie de croire qu’Alison Mosshart et Jamie Hince forment un couple déviant et adepte de l’amour vache, qui règle ses comptes sur scène et dans ses morceaux, même si on se doute déjà bien que rien de tout cela n’est vrai.
L’essentiel est qu’ils font très bien semblant. Ils le prouvent dès le morceau titre qui ouvre "No Wow", une folle parade amoureuse armée d’une boîte à rythmes à la Suicide qui fait des merveilles sur tout l’album (Love Is A Deserter, The Good Ones, Murdermile…).
Le son des Kills est toujours aussi dépenaillé – l’enregistrement a encore été expédié en quelques semaines – mais il se double ici d’une froideur inédite qui donne pourtant salement chaud. Les deux parties de I Hate The Way You Love en sont l’illustration parfaite : ce morceau tout en agressivité rentrée est la pièce de résistance d’un album outrageusement allumeur en forme de coitus reservatus, car il ne fait atteindre l’extase que très rarement. Mais quelle extase...
Et pour revoir notre interview du groupe, en promo pour "God Games", c'est juste en dessous.