2022 M05 18
Muse n’a jamais brillé par sa subtilité. Ce n’est pas forcément un problème. Le côté décomplexé du trio anglais joue parfois en leur faveur. Mais cela n’aide pas à transmettre des idées politiques fortes. C’est un fait : depuis plusieurs années, le leader Matthew Bellamy est fasciné par les théories du complot, qu’il considère comme une culture à part entière. Dès 2006, leur tournée se nomme HAARP, observatoire radio américain, accusé par des auteurs “alternatifs” de modifier le climat. La tendance se fait plus forte à partir de l’album “The Resistance” en 2009 : outre Uprising et son appel à se rebeller contre un oppresseur indéterminé, l’album contient surtout le titre MK Ultra. Ce nom renvoie à un véritable programme expérimental de la CIA, testant les possibilités de contrôle de l’esprit humain. Depuis sa révélation en 1974, le projet suscite de nombreux fantasmes, parfois franchement délirants.
Depuis, le complotisme est en quelque sorte le fond de commerce de Muse. Chaque fois, il est question de contrôle, de manipulation, de résistance. Et ça n’a pas l’air de se calmer avec le prochain album du groupe, à venir le 26 août. Dès le titre, le ton est donné : “Will Of The People”, la volonté du peuple. Le premier single, Won’t Stand Down, parle de se révolter contre une menace toujours très floue, dans un clip à l’ambiance totalitaire, tandis que Compliance traite de l’obéissance. Le cahier des charges est respecté. Et comme avec les précédents disques, le manque de recul de Matthew Bellamy sur ces questions devient parfois franchement problématique.
Ce n’est pas tant une question artistique, même si le refrain kitschissime de Get Up And Fight a quelque chose de franchement hallucinant. Mais surtout, le groupe donne souvent raison aux dérives complotistes. En 2015, le trio s’essayait au concept-album avec “Drones”. Le résultat : un parcours cousu de fil blanc d’un soldat se rebellant contre son autorité. À nouveau, l’oppresseur n’a rien de précis et pourrait être n’importe qui. Ce qui est, au fond, une base du complotisme : pointer un danger omniprésent. D’autant que la seule solution de ces personnages est une révolte purement individuelle : c’est Bellamy contre le monde entier. Tout ça pour un propos pouvant se résumer à une lutte binaire entre le bien et le mal. La faiblesse du propos devient manifeste lorsque Bellamy prend le point de vue du soi-disant grand manipulateur dans le grotesque The Globalist. Il finit tout de même sur un “je voulais juste être aimé”, dans un cliché somme toute adolescent.
Le groupe croit-il vraiment à ce n’importe quoi ? Depuis plusieurs années, il affiche de plus en plus nettement une forme de second degré. Son dernier disque en date, “Simulation Theory”, va même très loin dans le kitsch assumé. Mais cela ne suffit pas à tout excuser. D’autant qu’en 2006, Bellamy affirmait très sérieusement que les attentats du 11 septembre étaient, au moins partiellement, l’œuvre du gouvernement américain. Avant néanmoins de se rétracter en 2012, affirmant qu’il se consacrait désormais à “des sources plus crédibles”.
Malgré tout, le groupe refuse toute interprétation directement politique de son œuvre. Toujours en 2012, ils empêchaient ainsi la récupération de leur Uprising par une radio américaine de droite - et donc forcément un peu réactionnaire. Bellamy en profitait ainsi pour éclaircir sa démarche, avec une lucidité touchante : “Il est bien possible que je sois paranoïaque. Mais je dirais que créer de la musique permet d’exprimer ce sentiment d’impuissance et de manque de contrôle que beaucoup de gens ressentent, je pense”. Bref, il est peut-être le plus perdu du lot. À moins que tout ceci ne serve qu’à caricaturer les complotistes pour masquer le fait que Michael Jackson et Elvis sont toujours vivants ?