2021 M09 13
Novembre 1960. Trois ans après avoir tourné le dos à une série de concerts en Union soviétique, refusant par là l'idée d'être au cœur d'une quelconque manœuvre politique orchestrée par les États-Unis, Louis Armstrong entreprend de quitter son pays. Le trompettiste américain a la possibilité d'aller effectuer une tournée de plusieurs mois en Afrique, notamment au Congo, et cela ne se refuse pas. L'idée est d'améliorer l'image des États-Unis dans tous les pays tout juste libérés des régimes coloniaux, et cela plaît fortement à « Satchmo », toujours aussi marqué par son séjour au Ghana, en 1956, lors duquel il avait multiplié les prestations remarquées.
Cette fois, ce qu'il ne sait pas, c'est que son hôte n'est pas ce qu'il prétend être. À Léopoldville, lors d'un dîner avec sa femme, l'homme qui les assiste, un certain Larry Devlin, n'a rien d'un diplomate de l'ambassade des États-Unis : c'est un agent de la CIA, basé au Congo et chargé alors de profiter de la venue de Louis Armstrong pour recueillir des informations cruciales, de celles capables de faciliter des opérations militaires et politiques en pleine guerre froide.
« Armstrong était en fait un cheval de Troie pour la CIA. C'est un véritable crève-cœur. Il a été amené pour servir un intérêt qui était complètement contraire à sa propre vision de ce qui était bien ou mal. Il aurait été horrifié », écrit ainsi Susan Williams, auteure de White Malice, un livre qui s’intéresse de près aux activités de la CIA en Afrique centrale et occidentale aux croisements des années 1950 et 1960.
À l'époque, Louis Armstrong n'a visiblement pas été le seul musicien à avoir été manipulé ainsi par les services secrets américains. À chaque fois, l'objectif est le même : récolter le maximum d'informations dans l'idée d'avoir accès à la province minière et indépendante du Katanga, très riche, très fournie en uranium et très importante d'un point de vue stratégique. « Ils avaient besoin d'une couverture et la venue de Louis Armstrong leur en a donné une », déclare Susan Williams dans une interview au Guardian. D'autant que, à en croire l'auteure, les États-Unis avaient également tout intérêt à faire perdre les élections à Patrice Émery Lumumba, de peur de voir le Congo céder aux avances soviétiques.
Hasard ou non, deux mois après la fin de la tournée d'Armstrong, le premier ministre congolais est assassiné par des fonctionnaires de la province sécessionniste, et remplacé illico par Désiré Mobutu, un jeune chef militaire, proche de la CIA et favorable aux échanges avec l'Amérique. Quant au trompettiste, s'il s'est amusé à fanfaronner, racontant quelques années plus tard avoir mis fin à une guerre civile, il a surtout profité de cette expérience pour mettre en son sa propre comédie musicale, « The Real Ambassadors », directement inspirée par les semaines passées en Afrique et ce sentiment de culpabilité qui semblait le ronger. « Bien que je représente le gouvernement, clame-t-il au cœur de l’album, le gouvernement ne représente pas certaines des politiques que je défends. »