“Memento Mori” de Depeche Mode : vraie réussite ou album de trop ?

Six ans après un « Spirit » peu inspiré, « Memento Mori » laisse perplexe : plus décevant que surprenant, le quinzième album des Anglais s’entend avant tout comme une machine bien rodée.
  • De même que la pratique technique transforme notre capacité à recevoir une œuvre, il est indéniable que la connaissance d’un répertoire influe sur la façon dont nous accueillons une nouvelle sortie. Ainsi, l’écoute de « Memento Mori » (« Souviens-toi que tu vas mourir », en VF) laisse à penser que certains morceaux de l’album s’inscrivent dans la droite lignée de « Black Celebration » et « Music For The Masses », tandis certains titres ne cherchent même pas à masquer les références à des tubes anciens (Never Let Me Go ou Don’t Say You Love Me). Il y a aussi cette mélancolie, finalement moins liée au décès d’Andy Fletcher (tous les textes ont d’ailleurs été écrits avant sa disparition, survenue en mai 2022) qu’à une obsession des Anglais pour ce rapport troublé au monde.

    Quant à la pochette, une fois de plus réalisée par Anton Corbijn, elle fait immédiatement penser à celle de « Closer » de Joy Division. « J’avais suggéré à Anton de mettre les ailes d’ange dans un rectangle sur une pochette à fond blanc, explique Martin Gore dans une interview au journal belge Moustique. Là, on aurait encore été plus proche de “Closer”. Je n’ose même pas penser aux réactions si Anton avait suivi mon conseil. »

    Avoir toutes ces références en tête aide évidemment à approcher concrètement « Memento Mori », à replacer ce quinzième album au sein d’une discographie pléthorique, à comprendre que cette obsession pour la mort n’est pas nouvelle.

    En fin de compte, passées les premières expériences aux côtés de Vince Clarke à la fin des années 1970, elle a même toujours été là, dans des morceaux comme Just Can’t Get Enough, Personal Jesus ou Enjoy The Silence : des tubes qui, derrière leur ferveur synth-pop, peuvent également s’entendre comme des odes à la vulnérabilité, des réflexions à peine masquées sur les symptômes d’une époque en bout de course, prête à plier sous le poids de diverses menaces. Pas pour rien, finalement, si Never Let Me Down Again sert à alerter d’un danger imminent dans la série The Last Of Us.

    Il n’y a donc rien d’étonnant à entendre ici Depeche Mode chanter « everything will be all right in time ». En un sens, c’est ce que le groupe a toujours fait : se répéter inlassablement que « ça ira mieux demain » tout en sachant que demain serait inévitablement pire.

    Malgré la noirceur des thèmes abordés sur « Memento Mori ». Malgré la teneur pessimiste de certains textes (« Le temps est éphémère »). Malgré l’âge avancé de Martin Gore et Dave Gahan. Malgré le vide laissé par Andy Fletcher. Malgré le ronronnement de Soul With Me ou le manque de relief à l'œuvre sur Caroline's Monkey. Malgré tout, ce quinzième album reste digne d’intérêt pour la place qu’il occupe au sein de la discographie des Britanniques : une pièce manquante, le premier long-format du reste de leur vie.

    Un disque que l’on n’enregistrera sans doute pas dans notre bibliothèque Spotify, mais qui sera toujours présent d’une certaine façon, à portée de mémoire. Histoire de se rappeler que Depeche Mode (notamment sur Wagging Tongue, Before We Down ou Favourite Strangers, trois titres qui n’ont étonnamment pas été choisis comme potentiels singles) n'est pas condamné à la redite. Et que Dave Gahan et Martin Gore (dans le son, l'interprétation, les arrangements) sont toujours capables d'incarner des idées qui les éloignent un peu plus de l'hospice.

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