Et si, en fait, Marseille était aussi une ville rock ?

C’est presque devenu un cliché : Marseille est une ville de rap. Et bien sûr, d’IAM à SCH, et avec tous les participants de "13’Organisé", il y a de quoi soutenir une telle affirmation. Mais ce serait vite oublier la diversité de la cité phocéenne, qui possède également un beau patrimoine rock, et plus radical qu'on pourrait le croire.
  • L’histoire du rock à Marseille commence comme beaucoup de villes françaises, au début des années 1960. Alors que les premiers artistes francophones émergent, la ville de Marseille voit émerger son premier champion : Rocky Volcano. Mais alors que ses premiers 45 tours connaissent un succès honorable, son label Philips parvient à signer Johnny Hallyday, et place tous ses efforts sur lui, poussant Volcano vers la sortie.

    L’histoire rock de la ville se poursuit à l’époque psychédélique, en particulier avec les 5 Gentlemen, formé par des étudiants corses. Le groupe joue ses propres compositions, en français, embrassant à fond les distorsions venues d’Amérique. Plus tard, un groupe comme Barricade place très haut la barre de l’expérimentation, puisant notamment dans le free jazz. Mais la pauvreté de la ville empêche la plupart des groupes de se structurer.

    Comme partout en France, c’est l’explosion punk qui va offrir un véritable départ à la scène locale. Et dans celle-ci, un groupe se détache rapidement : Quartiers Nords. Mené par Robert Rossi (auteur en 2017 du livre Histoire du rock à Marseille 1960-1980), il fait le choix de reprendre à son compte l’héritage culturel propre à Marseille. Les films de Pagnol, les opérettes de Mayol, un humour social et plein d’auto-dérision : autant d’ingrédients repris dans un style très blues, tendant même parfois vers le hard rock. Plus tard, le groupe monte même ses propres opérettes, basculant alors dans un style reggae latino bien loin des débuts du groupe.

    D’autres groupes ont directement embrassé la vague punk, comme Nitrate. Formation sulfureuse, aux concerts à l’ambiance électrique, ils enregistrent un EP pour le label Underdog. Éprouvé par ses concerts tendus, le groupe jette vite l’éponge. On peut également citer Martin Dupont, dans un style new wave élégant, reconnaissable par la présence... d’une clarinette.

    Alors que les années 90 voient des villes comme Nantes et surtout Bordeaux se forger une identité rock, Marseille devient vite une ville de rap, suite au succès fulgurant d’IAM, puis de la Fonky Family. Mais c’est aussi le début d’une tendance forte de la ville : le rock tendu, sombre, agressif. Ce qui s’explique peut-être par la dureté sociale de la ville. Le premier symptôme est Kill The Thrill, groupe de metal industriel qui n’a rien à envier à Ministry. La période voit également se former une scène punk assumant à fond le côté DIY, avec l’arrivée du groupe X25 depuis Nice, ou les Cowboys From Outer Space.

    Et cette tendance ne fait que se confirmer durant les années 2000. Côté metal, les choses se structurent, et certains groupes finissent par conquérir le reste du territoire, comme Eths, et surtout Dagoba. La scène punk, elle, reste très indépendante et politisée à gauche, avec des groupes comme Wake The Dead, Hatepinks ou La Flingue, et bien d’autres de grande qualité. Comme souvent en France, beaucoup de ces groupes connaissent bien plus de succès à l’international que sur le sol français.

    Mais ce qui marque le plus dans ce rock marseillais, c’est la porosité tant entre les projets qu’entre les styles. Beaucoup de musiciens sont présents dans plusieurs groupes à la fois, multiplient les projets parallèles. À l’image d’un Simon Henner : celui qu’on connaît aujourd’hui comme musicien électronique sous le nom de French 79 a début au sein du groupe electro rock Nasser, tout en formant le groupe Husbands aux côtés de Kid Francescoli et Mathieu Poulain du groupe Oh! Tiger Mountain.

    Au final, l’opposition entre rap et rock est parfois même très floue. On peut penser à Oai Star, duo de punk formé au début des années 2000 par deux membres du groupe de reggae Massilia Sound System, au sein duquel un tout jeune Akhenaton avait fait ses premières armes. Du même groupe est également issu le projet Moussu T E Lei Jovents, dans une veine blues.

    Une telle diversité, et une telle mixité s’expliquent peut-être par la sociologie particulière de Marseille. Comme l’explique le chanteur du groupe noise Conger ! Conger ! au magazine Longueur d’Ondes en 2017 : « C’est une ville sans barrières musicales où le public est très éclectique dans ses goûts. » Ce que le chanteur de X25 vient préciser : « le rock a été de tous temps un truc de petits bourgeois et la scène rock marseillaise est concentrée en centre-ville. Ceci dit, la ville a la particularité, contrairement aux autres villes de province, d’avoir un centre-ville très populaire. »

    Un aspect social qui se retrouve aussi dans les paroles de ces groupes, qui n’hésitent pas à parler de leur quotidien dans des quartiers comme La Plaine, préférant faire vivre leur ville que faire carrière. Pour Pascal Escobar, musicien et auteur du second volume de l’Histoire du Rock à Marseille en 2019, l’identité de la rock de la ville est indéniable : « Dans les quartiers de nuit, au cours Julien, à la Plaine, au Vieux-Port, depuis que je sors, je vois des groupes qui jouent avec des guitares électriques partout. Il y a le Trolleybus, la Maison Hantée, la Machine à coudre, le Poste à Galène… Aujourd’hui la Salle Gueule, l’Embobineuse, le Molotov. Il y a des concerts de rock tout le temps. » Marseille n’est pas qu'une ville de rap : c’est clairement une ville de diversité.