Et si la vraie capitale française du rock, c'était Rouen ?

Si l’on observe les jeunes groupes de rock français, on leur trouve un point commun troublant : ils sont nombreux à venir de Rouen. Et il ne serait pas absurde de prendre la ville normande pour la capitale française du rock. Car elle l’était déjà il y a quarante ans.
  • Le flot de nouveaux groupes rouennais ne se tarit pas. MNNQNS a ouvert la voie, suivis par We Hate You Please Die, qui vient d’annoncer son second album pour le mois de juin, les Agammemnonz, Dye Crap, King Biscuit, ou plus récemment Unschooling, side project de MNNQNS, justement. C’est même carrément une véritable scène post-punk/garage qui est en train de se constituer en Seine-Maritime. Et cela n’a rien d’un hasard : Rouen a toujours été une ville de rock.

    Si l'on peut remonter aux années 60, avec des groupes comme les Vikings, imitateurs des Shadows, ou Rotomagus, et ses étonnants singles proto-punk, c’est bien à la fin des années 70 que l’aventure commence vraiment. La vague punk a fait son effet, et semble marquer le véritable départ du rock français après les années yéyé. Et surtout, le mouvement se fait partout dans le pays. Des villes comme Rennes, avec Marquis de Sade ou les Transmusicales, ou le Havre et son Little Bob se taillent une bonne place. Et Rouen semble alors jouer les locomotives.

    C’est sur le site Rouen Tourisme qu’on trouve une explication lucide : « Rouen est située à proximité de la base militaire américaine d’Evreux, du port du Havre mais surtout de l’Angleterre. L’influence d’outre manche est l’une des raisons majeures qui a fait que Rouen est devenue une plaque tournante du rock en France. » Le tout à proximité de Paris, pour achever d'en faire un point de relais. Le post-punk anglais trouve donc très vite une place dans la ville, avec notamment le label et fanzine Sordide Sentimental, qui publie des 45 tours de groupes british. Son principal coup d’éclat : un single de Joy Division (Atmosphere), avant même la sortie de leur deuxième album. Ils ont également publié Tuxedomoon, ainsi que les pionniers indus Psychic TV et Throbbing Gristle.

    Mais le véritable lieu phare du rock rouennais se situe rue Massacre. C’est là qu’est basé le disquaire Mélodies Massacre, principal pourvoyeur des nouveautés rock. Son gérant, Lionel Herrmani, va jouer un rôle central dans la scène locale, en devenant producteur de la plupart des groupes de la ville. Parmi ces derniers, il en est un qui se démarque particulièrement : les Dogs. Menée par le dandy charismatique Dominique Laboubée, la formation n’a rien à envier en inventivité et énergie aux groupes new-yorkais.

    Dans la lignée de ce groupe, parmi les meilleurs que la France ait connu, d’autres auront plus ou moins de succès : Tupelo Soul, Nurse, C.K.C., ET et ses athées, Stalkers ou plus tard Tony Truant, ex-guitariste des Dogs. L’un d’eux se démarque nettement : les Olivensteins. Monté par les frères Tandy, dont l’un travaille pour Mélodies Massacre, le groupe passe comme une météorite. Fondé en 1978, il se sépare en 1980 après avoir publié un seul disque de trois morceaux provocateurs et nihilistes, vite devenu culte. Le groupe se reforme en 2013, et publie finalement son premier album en 2017.

    Mais on le sait : les bonnes choses ne durent pas. Mélodies Massacre ferme en 1984, et la ville connaît alors un lent déclin. À partir des années 1990, l’écosystème qui portait cette scène n’existe plus. Cela n’empêche pas l’apparition de groupes comme Steeple Remove ou The Elektrocution de se former, mais bien souvent, ils quittent rapidement la ville. Même le succès de la Maison Tellier se fait, au final, essentiellement à Paris. Car Rouen n’a pas de lieu capable d’accueillir ses groupes, de les faire mûrir. Un souci finalement réglé à partir de 2010, et l’ouverture d'une véritable SMAC : le 106.

    Depuis, la ville semble reprendre sa place naturelle dans le rock français. Ses résidences permettent aux groupes locaux de s’épanouir sans avoir à chercher ailleurs. Et tout se structure alors naturellement. Des labels vont servir à fédérer ces créations, comme Kids Are Lo-Fi, du nom du premier album de We Hate You Please Die, ou son cousin expérimental le collectif SOZA. Par ailleurs, le 106 organise chaque année (enfin, en temps normal) le festival Rush, avec une programmation pointue, capable de mettre en valeur la richesse créative en son sein. En 2017, la France entière accueille MNNQNS, dont on se rend vite compte qu’ils ne sont que la partie émergée d’un iceberg plus vaste à chaque mois. Alors que le Royaume-Uni connaît un intense revival post-punk, l’histoire se répète également de notre côté de la Manche. Et ça ne fait que commencer.