2023 M07 20
Presque tous les week-ends, et dans plusieurs coins de France, des rave-partys sont organisées. Et presque tous les weekends, ces fêtes finissent par créer des conflits : le maire arrive sur le site, les forces de l’ordre sont déployées et dressent des verbalisations, les secours viennent en renfort, les riverains sont interrogés par les journaux locaux et les derniers fêtards rentrent chez eux au petit matin, rincés.
Certes, certaines de ces teufs XXL se déroulent sur des zones protégées ou des terrains privés. Et oui, elles sont, la plupart du temps, illégales. Mais les rave-partys font aussi partie de l’histoire de la musique, notamment électronique — aux États-Unis, en Angleterre, en Australie, en France, etc. — et elles symbolisent aussi un pan d’une culture underground.
Plus de 6 000 participants dimanche à une rave-party interdite dans l’Ain https://t.co/I4rrj4PvsX
— Le Monde (@lemondefr) July 9, 2023
Si les origines des raves sont associées à la house de Chicago et des artistes comme Jesse Saunders et Frankie Knuckles au milieu des années 80, c’est en Angleterre que les rave-partys vont devenir un phénomène de société. Des DJs britanniques, comme Graham Park ou Mike Pickering, importent la house en Grande-Bretagne. Enfin, d’abord à Ibiza, en 1987. Puis quelques mois plus tard, entre 1987 et 1988, à la maison. Avec l’arrivée de l’ecstasy dans les bouches des clubbeurs, les Anglais mixent la house américaine à la sauce fish and chips et inventent la acid house, un genre dérivé des sons entendus à Chicago mais en plus « trippy ».
L’été 88, baptisé le « summer of love » en Grande-Bretagne — en référence à celui de 1967 à San Francisco avec la libération des drogues et du sexe — voit l’émergence, un peu partout dans le pays, d’un nouveau mouvement underground. L’énergie est nouvelle, la consommation de drogue se banalise, les clubs organisent des fêtes libres et les groupes et artistes créent au même moment la B.O. de cette nouvelle ère.
Le mouvement s’étend un peu partout. À Londres, les clubs Shoom et Astoria sortent de terre pour mettre sur pied parmi les premières raves. À Liverpool, la boîte de nuit Cream fait danser les clubbeurs drogués. Dès 1990, la ville de Blackburn dans le nord du pays devient connue pour ses raves illégales. Mais une ville en particulier va devenir l’épicentre de l’acid house : Manchester. Grâce à un label (Factory Records) et à un club (l’Hacienda).
Shoom nightclub, Southwark (London) - 1988 🇬🇧 #acidhouse #rave #raveculture pic.twitter.com/1WVMA5Vdr8
— Spirit Of Spike Island (@SpikeIslandRecs) September 7, 2018
Cette sous-culture musicale se célèbre alors partout : dans les entrepôts, dans les vieilles usines abandonnées — la conséquence directe de la politique libérale menée par Margaret Thatcher qui a affaibli les syndicats et causé la fermeture de nombreuses usines et mines —, dans les champs ou dans les forêts. Au départ, les raves sont illégales. Des promoteurs comme Biology, Energy ou Sunrise se spécialisent dans l’organisation de ces événements. Et ils ont un système bien huilé pour jouer au chat et à la souris avec la police.
D’abord, l’adresse exacte de la rave est tenue secrète jusqu’au dernier moment. Sans internet et Google Maps, l’adresse se diffusait ensuite via des radios pirates, par le bouche à oreille, en appelant un numéro fixe où un message vous indique le lieu où on croisant d’autres fêtards à des lieux stratégiques de rendez-vous, comme un parking. Mais en 1994, le gouvernement britannique fait passer une loi, la « Criminal Justice and Public Order Act 1994 », qui autorise la police à faire arrêter une rave illégale à n’importe quel moment, qu’elle se déroule dans un champ ou dans un entrepôt. Un contraste avec l’esprit de ces fêtes, qui prônaient la liberté et l’hédonisme contre la répression et la grisaille de l’époque.
En revanche, dès le début des années 1990 et au vu de l’engouement de ces « free parties » à travers le pays, des collectifs se structurent, comme Fantazia, Universe ou Dreamscape par exemple, pour organiser des raves géantes légales qui peuvent réunir jusqu’à 30 000 personnes. Les affiches mettent en avant les artistes du moment — 808 State, Fabio, Jumping Jack Frost, Carl Cox, etc — et les promoteurs investissent pour que la qualité de l’expérience soient au maximum (lumières, sono, sécurité, etc.). Ces fêtes, légales, ont l’avantage d’aller au bout, et les organisateurs ne risquent pas de devoir renvoyer les clubbeurs chez eux à 3 heures du matin parce que la police en a décidé ainsi. Les promoteurs peuvent aussi distribuer des flyers et tirer un bénéfice des soirées organisées.
Assez rapidement, la culture rave devient plus « mainstream », avec des fêtes XXL, des magazines comme Ravescene qui émergent, des artistes phares et des fans prêts à danser jusqu’à 9 heures du matin non-stop. La période dorée dure de 1990 jusqu’à 1994 environ. L’année 1994 marque aussi l’année d’un procès qui implique les membres d’un collectif de DJ — Spiral Tribe — à cause d’un énorme festival organisé à Castlemorton. La jungle remplace l’acid house, les BPM augmentent et l’esprit de paix et d’amour qui a imprégné les raves des débuts s’estompe avec le temps.
Il y a bien eu les premières raves organisées en France dès 1990, aux États-Unis, à New York, dès 1991. Ou encore la période 93-94 en Australie, à Sydney, où les raves rassemblaient toutes les communautés — les punks, les freaks comme les personnes LGBT+, etc. Mais les belles années sont déjà derrière.
Queues at Fantazia, an outdoor rave at Donington Park, Castle Donington, England, July, 1992 - by Ted Polhemus pic.twitter.com/w9hPRXmVXy
— Flashbak.com (@aflashbak) October 19, 2021
Si les raves ne disparaissent pas pour autant, cette sous-culture s’est petit à petit affaiblie. L’arrivée de la Britpop avec Blur, Pulp, Oasis et Suede, peut aussi être vue comme une réaction à l’encontre des raves et de la culture américaine. Aujourd’hui, des films — comme Beats qui suit deux adolescents en 1994 qui se rendent dans une rave illégale en Écosse —, des podcasts, des livres voire même des expositions continuent de faire vivre la culture rave. Mais elle n’a jamais retrouvé son apogée. À moins que ce jeune garçon de 12 ans, qui a organisé une rave dans les toilettes de son école ne remette le mouvement en marche dans tous le pays. Après tout, comme dans la mode, les tendances musicales peuvent elles aussi faire des retours inattendus.