2021 M09 21
« Même si je jouais du hautbois, ou que je tenais un garage, les gens continueraient de me comparer. » Devoir être jugé à l'aune à son frère n’est jamais agréable. Mais quand celui-ci est une des plus grandes stars de la planète, cela doit devenir étouffant. Pourtant, Chris Jagger semble avoir de très bonnes relations avec son aîné. À l’occasion de son sixième album solo, « Mixing Up The Medicine », il a invité Mick à faire les choeurs sur quelques-uns des morceaux, tournant même un clip ensemble pour le titre Anyone Seen My Heart. Si les voix sont clairement distinctes, l’air de famille est bien là, et surtout l’amour du blues ancestral est largement partagé.
Chris ne se destinait pas à la musique. Sa première passion était le théâtre, qu’il a étudié à l’université. En parallèle, en pleine vague hippie, il travaille dans un magasin de vêtements, notamment fréquenté par Jimi Hendrix. Puis il part en voyage en Inde et en Asie, développant son amour pour la musique. Avant son retour, il figure même au casting d’une version israélienne de la comédie musicale Hair. Finalement, il sort son premier album en 1973, à l’âge de 26 ans, puis un second l’année suivante. Il doit également enregistrer un album avec les Flying Burrito Brothers.
Mais son rock honnête mais trop classique est vite balayé par la vague punk. Il délaisse la musique, et partage sa vie entre maigres cachets d’acteur et boulots alimentaire : peintre et décorateur d’intérieur, chauffeur de taxi (« Des passagers me demandaient pourquoi Mick ne m’aidait pas. Mais ce n’était pas à lui de le faire ! ») ou bien journaliste. Il signe notamment un documentaire pour la radio sur Alexis Korner, légendaire bluesman anglais qui a lancé les carrières de futurs Rolling Stones, Cream, Led Zeppelin et bien d’autres. En parallèle, il se remet petit à petit à la musique. Il participe notamment à deux albums des Rolling Stones, « Dirty Works » en 1986 et « Steel Wheels » en 1989, travaille un temps en France, avant d’enfin publier de nouvelles musiques en 1994. Pour cela, il monte un groupe, Atcha, où le blues qu’il aime toujours autant se teinte de styles de la Nouvelle-Orléans, le cajun ou le zydeco. Des styles « qui ne vont jamais être démodés, car ils n’ont jamais été à la mode ! ». Pour l’occasion, David Gilmour vient participer au disque. Le groupe se distingue également par la présence d’un concertina (sorte de petit accordéon celtique), joué par celui qui devient son inséparable complice Charlie Hart.
Depuis, Chris Jagger publie régulièrement de nouveaux albums, en solo ou en groupe, sans se soucier d’une quelconque forme de carrière. À côté de ça, il élève poulets et cochons non loin de Glastonbury. « Dès que j’ai eu quarante ans, j’ai décidé que je ferais ce que je voulais, et ne me soucierais plus de ce que les autres pensent ». Depuis, dans chaque interview, celui qui ne veut plus être un simple « frère de » ce montre parfaitement lucide sur sa situation. « Ma musique n’est pas mauvaise. C’est juste que dès que je fais un disque, quelqu’un dit : c’est pas mal, mais ça ne vaut pas Mick. C’est vrai, mais ensuite ? » Il est bien placé pour constater que « la célébrité est à double tranchant. […] J’ai toujours été plus libre que mon frère, qui doit s’en tenir aux Rolling Stones ». Lui, par exemple, a pu monter un nouveau groupe, les Acoustic Roots, publiant un album en 2014 centré sur les musiques country et Irlandaises. Et juste s’amuser comme ça.
Cela ne l’empêche pas d’être parfois amer envers l’industrie musicale, qui ne lui a jamais facilité la vie. « Je trouve énervant que les groupes superstars aient droit à une si grosse part du gâteau, alors que beaucoup d’autres n’arrivent même pas à en vivre. Et cela dépend du hasard avant tout ». Mais au fond, Chris Jagger a réussi son principal objectif : vivre avant tout par et pour lui-même. Un peu comme Roger Eno, autre frère de, mais qui a récemment publié un album avec Brian.