2021 M09 15
Quel est le point commun entre Jul et Johnny Hallyday ? À cette question, que tout le monde refuse de se poser, la réponse évidente est cette inévitable frénésie de sons qui poussent les deux artistes à publier un nombre incroyable d'albums en très peu de temps. En 1966, par exemple, Johnny n'a que 23 ans lorsqu'il publie « La génération perdue », son huitième long-format. Et même si le critique américain Lester Bangs ne voit alors en lui qu’une « imitation de troisième ordre d’Elvis », force est de constater que l'idole des jeunes a le sens du travail bien fait. Et du timing : « La génération perdue » étant présentée en exclusivité à l'Olympia la veille de la sortie du disque.
En 2021, ce qui force le respect à l'évocation de cet album, ce n'est pas tant son contenu - pourtant marqué par la présence de singles incontournables (Cheveux longs et idées courtes, Noir c'est noir, Si j'étais un charpentier, etc.) - que son histoire, ses coulisses. On est alors en 1966, et Johnny, de retour de l'armée, souhaite revenir à un son plus rock. Par chance, Eddie Vartan, le frère de qui vous savez, mariée à qui vous savez, vient de recruter deux musiciens britanniques pour son orchestre : Micky Jones et Tommy Brown, qui évoluaient alors au sein de Nero and the Gladiators, un groupe passé totalement inaperçu, aussi bien en Angleterre que sur le continent.
Rapidement, Johnny découvre le son de ces deux Anglais. Ils souhaitent les recruter au sein de son backing band, The Blackburds, leur confier les clés de ses arrangements et, pourquoi pas, leur offrir une place conséquente sur ses différents projets - on retrouve ainsi deux instrumentaux des Blackburds sur l'EP « Noir c'est noir ».
Maintenant que Johnny a mis la main sur des musiciens à même de durcir sa musique, d'électriser ses mélodies et de le comprendre (Jones et Brown figurent d'ailleurs sur d'autres de ses albums, dont « Rivière... ouvre ton lit »), il ne lui reste plus qu'à trouver un lieu où enregistrer ce fameux huitième album. Ce sera à Londres, à l'Olympic Sound Studio, aux côtés de Giorgio Gomelsky, le premier manager des Stones. C'était au début des années 1960. Depuis, il manage les Yardbirds, et Johnny semble particulièrement apprécier sa vision du rock. Surtout, il sait que Gomelsky est une figure importante du Swinging London, qu'il est avant tout un grand passionné, toujours à l'affut de nouveaux talents. Et ça, ça lui plaît.
L’avenir lui donnera raison : en septembre 1966, quelques semaines avant la sortie de « La génération perdue », Giorgio Gomelsky emmène son frenchie dîner dans un club de Londres, le Blaise's, où les rockeurs du pays aiment trainer. Sur place, ils tombent sur un Jimi Hendrix en train de triturer sa guitare. Fascinés, les deux compères sautent sur l’occasion : « J'ai proposé que Jimi rencontre le cousin de Johnny (Lee Halliday, directeur artistique de l’album, ndr) pour échanger leurs cartes de visite et peut-être l'inclure sur la prochaine tournée de Johnny en France, et c'est ce qui s'est passé. »
Et Johnny, qui voit alors un boulevard s’ouvrir vers un monde qui lui était jusque-là interdit, celui des États-Unis, de s’extasier : « Je n'ai jamais ressenti un tel choc depuis Elvis Presley. Jimi, c'est demain, le futur, l'avenir. Ce mutant géant joue le rock le plus sauvage. Il annonce la revanche de l'Amérique sur l'Angleterre. » Le reste, comme on dit, appartient à l’histoire.