2021 M09 15
Aujourd’hui âgé de 78 ans, Bernard Tapie a tout fait. S’imposant dès les années 80 comme une figure médiatique symbolique de cette période d’enrichissement décomplexée. Encore aujourd’hui, malgré une image d’homme d’affaires arriviste, sans scrupule et un séjour en prison, il compte également des admirateurs. Un documentaire sur sa vie est même à venir fin septembre sur C8, dans la série des « Dans le coeur des français ». L’homme d’affaires est cependant atteint d’un cancer depuis plusieurs années, qui ne cesse de l’affaiblir. Au point que sa fille, Sophie Tapie, chanteuse et comédienne, lui ait dédié un morceau sorti à la fin du mois d’août, Le Phoenix. Un titre bien trop emphatique, et parfois même franchement incompréhensible (« Du néant à la matière, Je fais renaître l’éphémère En immense poussière »). Mais qui permet de se rappeler une chose : Bernard Tapie a également connu une carrière de musicien. C'est même la première qu'il ait connue.
Bernard commence par tenter sa chance à la fin de son service militaire, en 1966. On est alors en pleine période yéyé, sous forte influence américaine, et il tente alors d’angliciser son nom en Tapy (prononcer Tapaille). Il réussit à publier une dizaine de morceaux via le label RCA, mais les ventes ne décollent jamais. Dans un premier temps, il adapte des titres de Barry Sadler, militaire américain, surtout connu pour The Ballad of the Green Berets, hommage aux forces spéciales de l’armée américaine (une des rares à adopter ce point de vue en pleine guerre du Viêt Nam). Elle devient ainsi Passeport Pour le Soleil, sans perdre son côté marche militaire. Plus largement, le style de Sadler est très pompier, et les paroles de Tapie restent empreintes d'un certain puritanisme déjà présent à l'origine. La fascination militaire, elle, se poursuit avec Les Pistonnés, qui évoque directement le service militaire.
Dans ses titres suivants, la musique de Tapie gagne en souplesse, et son interprétation n’est pas honteuse. Mais cela manque franchement de subtilité, et reste insuffisant pour inciter les maisons de disques à miser sur lui, en particulier dans une période si prolifique (un problème que connaîtra aussi le gourou Raël, lui-même chanteur avant de faire carrière avec les Ovnis). Après une dernière tentative avec Je ne crois plus les filles, il jette l’éponge. Après une brève tentative comme pilote automobile, il devient l’homme d’affaires qu’on connaît. Son ascension est fulgurante, l’amenant à devenir une figure médiatique recherchée (l’homme est un bon client de la télévision, apprécié des jeunes et des femmes), un directeur sportif et un homme politique proche de François Mitterrand, au grand dam du reste du Parti Socialiste.
C’est dans ce contexte qu’il revient une première fois à la chanson en 1985. En effet, Didier Barbelivien, auteur pour Michel Delpech où Michel Sardou, lui écrit deux titres, destinés à lever des fonds pour la fondation Perce-Neige. En résulte donc Je T’interdis et surtout Réussir Sa Vie, deux ballades franchement soporifiques, et où la technique de chanteur de Tapie trouve ses limites. Restent des paroles parfois carrément improbables (« C'est de gagner en bourse Comme on jouait aux billes, Et de finir sa course Le soir en famille »).
Dans les années 90, ce parcours à succès est entaché d’affaires judiciaires. Deux en particulier vont lui causer du tort : l’affaire tentaculaire du Crédit Lyonnais et d’Adidas, et l’affaire VA-OM, où Tapie est accusé d’avoir cherché à corrompre des joueurs de foot de Valenciennes alors qu’il était président du club de Marseille. Tout ceci le rend inéligible, l’interdit de faire des affaires, et l’amène même en prison quelques mois. Tapie doit alors se réinventer, et il multiplie les projets médiatiques : il se fait animateur télé et radio, mais également comédien de théâtre. Et il fait même un retour à la chanson, atteignant le sommet du n’importe quoi en 1998. En effet, pour remonter dans l'estime publique, Bernard Tapie se fait rappeur, en duo avec un Doc Gynéco au sommet de sa gloire, et pas encore associé à Nicolas Sarkozy.
Intitulé C’est beau la vie, le titre se permet carrément de faire référence à l’affaire de Valenciennes et le séjour en prison de Tapie. L’étonnant duo se permet néanmoins de donner des leçons de vie, avant de conclure « Dans le foot, les affaires, le rap, les ministères, c´est toujours le gangster qui contrôle l’affaire ». Finalement de retour dans les affaires à la fin des années 2000, avec notamment le rachat de titres de presse, Tapie semble avoir définitivement abandonné la chanson. Et s’il n’a pas marqué l’histoire de la musique, au moins on ne pourra pas lui reprocher d'avoir tenté d'avoir acheté qui que ce soit.