Comment le rappeur TOMM¥ €A$H disrupte le business du rap

Génie ou escroc ? Le rappeur estonien Tommy Cash a récemment créé un merchandising étonnant : un pull aux manches trop longues, des chaussures longues d’un mètre, des chaussons en forme de pain ou des nouilles non comestibles. Le tout en collaboration avec des grandes marques, et à des prix bien trop élevés. Une démarche quelque part entre le happening, l’art contemporain et le marketing.
  • Le chemin de la célébrité est parfois inattendu. Depuis le début des années 2010, le rappeur estonien Tommy Cash (stylisé en TOMM¥ €A$H) tente d’explorer ces chemins de traverse. Et le confinement lui donne les outils nécessaires pour cela. Entre happening conceptuel et blague potache, il a ainsi imaginé plusieurs produits merchandising pour le moins étonnants. Début mars, il présentait une collaboration avec Adidas, où il réimagine le modèle de chaussures Superstar. Chez lui, elles font désormais un mètre de long, ce qui les rend parfaitement inutilisables. Plus récemment, il s’est associé avec la Maison Margiela, menée par le sulfureux John Galliano. Via son site, on peut désormais acheter des pulls aux manches bien trop longues, pour 100 dollars, des chaussons en forme de miches de pains pour 95 dollars et même un sachet de nouilles japonaises pour 12 dollars, qui ne sont même pas comestibles.

    Son but est de créer un discours ironique sur la société de consommation, à la manière d’un artiste contemporain. Pour appuyer encore cela, ces produits s’accompagnent d’un nouveau titre du rappeur. Enfin, plus ou moins, puisqu’il consiste en trois minutes trente de silence total, qu’il présente comme « l’hymne du confinment ». Avant qu’on ne se demande si on peut parler de plagiat du 4’33 de John Cage, l’Estonien explique : « Pour la plupart d'entre nous, être éveillé signifie être bombardé de sons, spécifiquement organisés pour la consommation. [...] Au lieu des oiseaux, nous écoutons des podcasts ou tout ce qui a été enregistré au cours des 144 dernières années. Au lieu d'informations sur notre environnement, nos oreilles reçoivent un déversement continu de news qui nous garde attaché à une source d'anxiété constante. »

    Cela fait longtemps que Tommy Cash navigue à la frontière entre musique populaire et art contemporain. Dès 2016, ses clips sont à la fois absurdes et conceptuels, comme si le musicien de 29 ans cherchait à la fois à reprendre les codes du rap, mais aussi à les détourner et les parodier. Cette démarche l’a amené à collaborer avec de nombreux artistes jouant également sur cette ambiguïté, notamment dans la sphère hyperpop : Charli XCX, 100 giecs, A.G. Cook, mais aussi le Français Lorenzo ou Boys Noise.

    Quant au monde de la mode, il commence à le fréquenter en 2019 grâce à Rick Owens, adepte de « l’antifashion » et du scandale. Les deux artistes font une exposition commune, où Cash présente déjà une première version de ses pantoufles en pain, mais aussi un pot rempli de son propre sperme, où un tableau le représentant nu et enceinte.

    Qu’on le pense escroc ou génie, cet artiste semble surtout parfaitement sincère dans sa démarche, cherchant à créer des œuvres originales et portant un discours, avec une grande ambition. Comme il l’explique au webzine Dummy : « Je veux être aussi connu que possible. Je veux toujours créer une idée demain qui soit meilleure que celle d’aujourd’hui. Je ne comprends pas pourquoi on produirait quelque chose et ne pas vouloir que les gens l’aiment, l’apprécient, ou au moins reconnaissent l’effort réalisé. Je pense que j’ai toujours voulu être comme Jim Morrisson. Quelqu’un de populaire, mais qui existe en dehors et se moque des éléments les plus inauthentiques de l’industrie ». Tommy Cash est ainsi dans cet équilibre difficile entre ironie et sincérité, conceptualité et efficacité. Si on laisse chacun juge de la pertinence de son œuvre, on pourra toujours saluer le fait qu’il aille jusqu’au bout de la blague.