2021 M12 14
On pourrait toujours longuement débattre de la véritable origine du rock’n’roll, comme genre véritablement distinct du rhythm’n’blues. Mais une chose est sûre : Sun Records a occupé un rôle majeur dans l’émergence du rock. L’aventure démarre en 1950, avec Sam Philips, jeune ingénieur du son de Memphis, passionné de rhythm’n’blues depuis l’enfance, bien qu’étant blanc en pleine ségrégation. Il ouvre ainsi son propre studio, dans lequel il installe un piano : un Wurlitzer épinette, un modèle créé en 1949, acheté au magasin d’instruments voisin du studio (et fréquenté par tous les musiciens de Memphis). Plus de 70 ans plus tard, cet instrument est vendu aux enchères, avec un prix de départ de 700 000 dollars. Et c’est la folle histoire de Philips qui vient justifier ce prix.
On retient souvent son rôle crucial dans l’émergence d’Elvis Presley, arrivé timidement dans le studio en 1954 pour enregistrer une chanson pour sa mère. Mais Sun Records a également été le label de Johnny Cash, Jerry Lee Lewis, Roy Orbison, ou Carl Perkins. Par ailleurs, des artistes comme Ike Turner, B.B. King et Howlin’ Wolf viennent y enregistrer pour d’autres labels. Bref, c’est là que toutes les grandes gloires du rock’n’roll ont produit leurs premiers tubes, avant de conquérir le reste du pays. En passant, toujours, par ce piano.
Mais c’est une date en particulier qui achève de rendre cet instrument légendaire : le 4 décembre 1956. Ce jour là, Carl Perkins – sans doute le moins connu de ces légendes, mais alors très célèbre après avoir crée le standard Blue Suede Shoes – enregistre dans le studio, accompagné de ses deux frères, Jay B. et Clayton, et du jeune Jerry Lee Lewis. Celui-ci, repéré par Philips, s’apprête à sortir son premier single quelques jours plus tard. Elvis Presley, déjà superstar, vient alors leur rendre une visite de courtoisie, et décide de s’inviter en studio. Un peu plus tard, c’est Johnny Cash qui fait de même (d’autres versions disent qu’il est arrivé le premier). C’est le début du Million Dollar Quartet : un bœuf entre quatre musiciens d’exception.
Philips comprend vite ce qui se joue devant lui. Il presse son ingénieur du son d’enregistrer le maximum de ce qui est joué. Soit plus de quarante morceaux, notamment beaucoup de gospel que tous connaissent par cœur. Il contacte également la presse, qui immortalise l’événement, et imagine ce nom de Million Dollar Quartet. Ce fabuleux hasard a été publié bien plus tard en disque. Et celui-ci frappe particulièrement par la détente des musiciens, qui partagent un moment en tout simplicité. La présence ou non de Cash fait encore débat : pour certains, il a très vite quitté le studio, mais lui-même assure être resté tout au long de la session, mais installé loin du micro, ce qui explique qu’on l’entende si peu. Mais une chose est certaine : ces légendes se sont réunies autour de ce piano Wurlitzer, majoritairement employé par Elvis.
À la fin des années 50, le rock’n’roll connaît une phase de déclin, et tous les artistes phares de Sun Records ont signé sur des majors. Sam Philips déménage son studio en 1960, et finit par installer ce piano chez lui en 1961. Mais l’histoire raconte que, régulièrement, Jerry Lee Lewis et Elvis Presley sont venus rendre visite à Philips, et à son piano. Finalement, le producteur a fini par céder le célèbre instrument au Rock And Roll Hall Of Fame de Cleveland lors de son ouverture en 1995. Il y est alors resté jusqu’en 2017, et son déménagement à Graceland pour une exposition sur le King, où il a résidé jusque là. Avec un poids historique intact.