2021 M05 20
Au début des années 2000, il y a eu une bascule. Après des années de recherche d’une bonne qualité sonore (même si, quoi qu’en pensent les nostalgiques, tout le monde n’y avait pas accès), Internet a changé la donne. Il fallait des fichiers moins lourds : des fichiers compressés. Quitte à rogner sur la qualité sonore. Et ainsi, le format mp3, pourtant mal parti à sa naissance en 1987, s’est imposé comme la norme. Pour des questions pratiques, donc. Et encore aujourd’hui, que ce soit sur YouTube, Spotify et les autres, la musique que nous écoutons est compressée. Les rares plateformes misant sur un format sans perte (lossless) en font un argument commercial visant les audiophiles : Tidal, Qobuz, ou même Deezer et Amazon qui proposent des abonnements en High Quality (HQ), mais avec un surcoût. Et en réalité, tout le monde semble s’accomoder de la situation.
Mais tout ceci semble être en train de changer. Avec les progrès de la bande passante d’Internet, la compression semble beaucoup moins pertinente. Et les géants du streaming commencent ainsi à changer. En mars dernier, Spotify annonçait qu’un format « hi-fi » serait bientôt disponible, sans donner plus d’informations. Mais voilà les Suédois doublés par Apple Music, qui annonce l’arrivée du lossless pour le mois de juin. Trois niveaux seront disponibles : une qualité CD, soit une résolution de 16 bits pour une fréquence d’échantillonnage de 44100 hertz ; ou bien un format 24 bits, 48000 hertz, ou enfin le colossal 24 bits pour 192 000 hertz. Par ailleurs, la marque à la pomme s’est également associée à Dolby pour proposer une spatialisation du son.
The next dimension of sound is coming.
— Apple Music (@AppleMusic) May 17, 2021
Announcing #SpatialAudio, featuring #DolbyAtmos. pic.twitter.com/np8UjNusmF
On vous passe l’explication technique, mais bien sûr, plus les chiffres sont gros, plus la qualité est élevée, ainsi que le volume du fichier son. Mais le principal argument d’Apple, c’est que cette option sera disponible sans surcoût pour les 70 millions d’abonnés à la plateforme. Dans la foulée, Amazon Music a également annoncé que son forfait hi-fi, en qualité CD, était désormais disponible sans surcoût, lui aussi. Pour rappel, ces deux plateformes, si elles sont loin d’avoir autant d’abonnés que Spotify, sont tout de même ses principaux concurrents. On a donc bien là une attaque frontale sur ce terrain du lossless, puisqu’on ignore encore si le hi-fi de Spotify sera plus cher.
Pour autant, cette annonce est loin d’être aussi révolutionnaire que celle de l’iPod en son temps. Car proposer du lossless est inutile sans le bon équipement. C’est d’ailleurs là la principale limite de l’offre d’Apple : pour le moment, la technologie bluetooth est incompatible avec les grandes résolutions. Ce qui veut dire que les AirPods, et même les luxueux AirPods Max récemment mis en vente, sont incompatibles. Un comble, donc. Plus largement, une telle avancée sur le hi-fi reste inutile avec un usage nomade, qui se développe de plus en plus. En d’autres termes, la demande pour de tels formats ne semble pas si importante, et les offres actuelles semblent plutôt tenir de l’argument commercial.
Apple et Amazon bougent sur la qualité du son pour proposer du lossless. C'était la menace évidente qui pesait sur les plateformes spécialisées. C'est l'occasion de le redire : leur vraie valeur ajoutée ça ne doit pas être la HD mais l'éditorialisation, un regard sur la musique.
— Sophian Fanen (@SophianF) May 18, 2021
Néanmoins, on peut y voir une évolution naturelle, liée à la moindre pertinence des formats compressés. Certes, comme le pointe le journaliste Sophian Fanen, tout cela n’est qu’un plus, et ne va pas radicalement améliorer la qualité des plateformes. Certains observateurs voient même dans ces annonces un recul : proposer ces formats sans surcoût, c’est diminuer les revenus de l’industrie musicale. Plus largement, c'est aussi un moyen d'étouffer la concurrence pour Apple et Amazon, qui sont également fabricantes et vendeuses de matériel d'écoute permettant de compenser le manque à gagner derrière ces annonces. Mais au fond, tout ceci semble être la marche de l'histoire. Qui sait, c’est peut-être la mise en avant de ces formats qui incitera les auditeurs à se procurer le matériel adéquat. Bref, le changement est en cours.
D’autant plus que d’autres évolutions se déroulent en parallèle. On ne cesse d’en parler, mais le vinyle poursuit sa progression, compensant presque la chute massive du marché physique. Et qui dit vinyle dit équipement adapté, propice à un son de qualité. Plus largement, si les casques nomades constituent aujourd’hui l’essentiel des ventes audio, les barres de son sont également en progression. Enfin, avec la pandémie, les habitudes d’écoute ont pu changer, menant certains mélomanes à (re)découvrir le plaisir de l’écoute chez soi. Difficile de prédire l’avenir, mais les tendances actuelles semblent donc pointer vers une montée de la qualité sonore. Il était temps.