Le jour où une cargaison de synthés a déclenché une révolution au Cap-Vert

À la fin des années 60, un cargo chargé comme une mule de synthétiseurs et autres claviers électroniques quitte les États-Unis en direction du Brésil. Il n’arrivera jamais à bon port. Quelques mois plus tard, il est retrouvé planté sur une île du Cap-Vert. Les instruments futuristes seront alors redistribués aux locaux, ce qui aura comme effet d’enclencher une authentique révolution musicale.
  • Les fanatiques de Corto Maltese apprécieront sans doute cette mystérieuse histoire. Nous sommes au printemps 1968, sur les quais du port de Baltimore (USA). Les dockers se pressent pour finir de charger un imposant cargo qui doit filer au Brésil, à Rio De Janeiro. Là-bas, la toute première exposition EMSE (Exposição Mundial De Som Eletrônico) mettant les musiques électroniques à l’honneur est sur le point de débuter. L’occasion parfaite pour les entreprises Rhodes, Moog, Farfisa, Hammond ou encore Korg de faire valoir leurs nombreux instruments futuristes sur ce marché sud-américain en pleine croissance. Plein à craquer, le monstre de fer prend la mer au matin calme du 20 mars. Le jour même, il disparaît des radars.

    Il faut attendre de longs mois et pas mal de supputations avant que la carcasse du bateau ne refasse surface. Un beau jour, le navire échoué réapparaît comme par enchantement dans le petit village de Cachaço, niché sur l’île de Sao Nicolau au Cap-Vert. Plus incompréhensible encore, le cargo est retrouvé au milieu d’un champ situé à 8 kilomètres de toute côte. Avant même que les villageois n’aient le temps de bouger le petit doigt, la police coloniale quadrille la zone. Les recherches peuvent débuter.

    Afin de résoudre ce mystère, des scientifiques et des médecins portugais sont appelés à la rescousse. Au bout de plusieurs semaines de recherches intenses, toutes les conclusions convergent vers une seule idée : le navire a chuté du ciel. Au milieu de ces théories, la plus farfelue affirme que le cargo serait « tombé d’un avion de transport militaire russe », selon cette source. Toujours sans réponse officielle, tout ce petit monde se décide enfin à ouvrir les conteneurs. À l’intérieur, les villageois découvrent avec étonnement des centaines d’instruments futuristes, synthétiseurs en pagaille, claviers électroniques et autres pédales d’effet. Tout le matos est finalement stocké dans une église locale.

    Cette précieuse cargaison aurait certainement pu prendre la poussière à jamais si Amílcar Cabral n’était pas intervenu. Lorsqu’il tombe sur ces instruments, ce charismatique leader anticolonialiste décide de les redistribuer équitablement dans les endroits ayant accès à l’électricité — c’est-à-dire dans les églises et les écoles environnantes. En plaçant ces machines dans les mains curieuses d’enfants ne demandant qu’à jouer avec, Cabral vient de lancer une vraie révolution musicale.

    En plein cœur de cette décennie 70, le Cap-Vert voit éclore toute une nouvelle génération de musiciens. Dans leurs créations, ces jeunes gens inspirés mêlent aux rythmes capverdiens classiques – comme les mornas, coladeras ou encore le funana – toute une gamme de tonalités cosmiques typiques des premiers synthétiseurs. Et cette émancipation culturelle sera portée par Paulino Vieira, un génie qui deviendra le plus illustre arrangeur du pays.

    Ce son totalement neuf, symbole de liberté pour toute une nation, fut bien entendu censuré par le gouvernement portugais. Qu’importe, il s'imposera comme la bande-son officielle de l’indépendance du Cap-Vert, intervenue en 1975. En musique, cette histoire se raconte grâce à la compilation « Space Echo - The Mystery Behind the Cosmic Sound of Cabo Verde Finally Revealed! » (2016), produite par le label Analog Africa. En vidéo, cette épopée cosmique se regarde via ce court documentaire réalisé par The Vinyl Factory.

    Crédit photo en une : YouTube « A Sweet Pain: The Rebel Synths of Cabo Verde »

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