Le jour où Pink Floyd a refusé d'écrire la musique du "2001" de Kubrick

C'est une histoire méconnue à propos de l'un des plus grands films jamais produits. C'est aussi l'histoire d'un mariage qui n'aura finalement jamais lieu entre l'immense réalisateur américain et le groupe psychédélique anglais. Comme quoi, on a beau parler la même langue, n'en reste pas moins que les incompréhensions sont toujours possibles quand il est question du côté obscur de la lune.
  • D'un côté, Stanley Kubrick. De l'autre, Pink Floyd. Sur le papier, le casting est impressionnant et l'idée d'entendre une bande originale écrite par le groupe de Roger Waters pour le grand cinéaste a de quoi exciter la planète pop culture. Sauf que, bien que contactés par Kubrick alors que ce dernier prépare la sortie de sa symphonie martienne 2001 l'Odyssée de l'espace, le groupe refuse toute collaboration. Enterrant ainsi le fantasme d'entendre les guitares planantes de Syd Barrett virevoltant dans le vide cosmique. 

    Pour tout comprendre, rembobinons la bande. En 1964, Kubrick se met en tête de réaliser le plus impressionnant des films spatiaux et, pour cela, rencontre l'un des maitres du genre, le romancier Arthur C. Clarke. Il est alors question de s'écarter des navets tournés jusque là, et d'impulser un réalisme saisissant pour les spectateurs, sachant que les Etats-Unis sont alors lancés dans une course contre la montre pour atteindre la lune avant leur ennemi juré, la Russie. Bataille dantesque avec les studios pour imposer un budget pharaonique (12 millions de dollars), lutte pour conserver le final cut et grandes questions sur la musique qui doit accompagner la perte de contrôle de l'ordinateur de bord, HAL, telle est le programme des quatres années qui vont suivre, jusqu'à la sortie du film en 1968. 

    C'est là que les choses se compliquent. Missionné par Kubrick, le musicien Alex North (qui a déjà travaillé avec le réalisateur sur Spartacus) pond 40 minutes de musiques qui vont finir à la poubelle; Kubrick décidant sur un coup de tête de garder ce qui fera le succès de 2001, à savoir des musiques classiques à rebours de l'époque, avec Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss ou encore le Requiem de György Ligeti. Grosse inquiétude chez les cadres de la MGM qui espéraient produire un blockbuster et qui, en réponse, se retrouvent avec un film de 149 minutes dont seulement 47 avec des dialogues. Cela n'empêchera pas la jeunesse baba de la fin des années 60 de se ruer en salles; la légende racontant que les gamins fans de psychédélisme venaient tripper, dans un état second, devant les images incroyables du film. Mais l'histoire aurait pu se terminer autrement. 

     

    On le sait peu, mais Kubrick, avant de s'obstiner à placer du classique dans l'espace pour illustrer 2001, pensa brièvement à Pink Floyd pour la bande originale. Le groupe, révélé par la sortie de "The Piper at the Gates of Dawn" un an avant la sortie du film, possède exactement ce que le réalisateur recherche - on pense notamment au titre Interstellar Overdrive, où tout est dit. Pourtant, Pink Floyd refuse sèchement, sans motif officiel. Une décision que Waters semblera regretter par la suite, et qui alimentera pas mal de suppositions, la plus incroyable étant que le titre Echoes, publié en 1971 sur "Meddle", aurait été initialement composé pour 2001, l'Odyssée de l'espace. Pourquoi ? Parce que le titre dure 23 minutes, soit exactement le même temps que la dernière scène du film. Dans la vidéo ci-dessous, des fans iront jusqu'à juxtaposer sons et images, et le résultat est effectivment confondant.

     

    Les freaks de Pink Floyd avaient-il peur que le réalisateur, connu pour être lui-même un control freak, les empêche d'écrire selon leurs propres désirs ? Possible. Mais Kubrick, finalement pas mauvais perdant, tentera une seconde fois de faire appel à eux, en 1972, pour son film Orange Mécanique. Cette fois-ci, c'est le titre Atom Heart Mother qui est demandé par le réalisateur. Et là encore, les Anglais refusent - possiblement pour les mêmes raisons - en expliquant officiellement que leur musique est faite pour être écoutée, pas pour apparaitre à l'écran. 

    La morale de l'histoire ? Si Kubrick et Pink Floyd partagaient un amour pour l'espace (en atteste la sortie de "The Dark Side of the Moon" voilà pile 50 ans), le mariage artistique n'aura pas lieu et se finira même... en divorce. En guise de vengeance, le réalisateur placera la pochette d'un vinyle de Pink Floyd à l'arrière-plan d'une scène tournée chez un disquaire (où l'on voit celle de la B.O. de 2001 à l'avant...) puis refusera à son tour à Roger Waters d'utiliser un sample de la voix du HAL de 2001 pour son disque solo de 1988, "Amused to Death". Comme quoi, la guerre des étoiles avait finalement commencé bien avant le film de George Lucas.

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