Le jour où les Stooges ont donné leur dernier concert… et que ça a mal tourné

Nous sommes en février 1974 et les Stooges sont en phase de séparation. En perte de vitesse, ils débutent une tournée d’adieu dans des clubs malfamés de leur Michigan natal. Tout se solde lors d’un énième show à Détroit, sur la scène du Michigan Palace. Cette soirée va dégénérer, la faute à un gang de bikers mal intentionné ainsi qu’à un Iggy Pop survolté.
  • L’Iguane, surnom donné à Iggy Pop après une aventure dans une première formation étudiante, a toujours été un animal de scène. Lorsqu’il a fondé les Stooges à la fin des années 60, le chanteur déchaîné s’est rapidement bâti une réputation de trublion des planches. Le plus souvent torse nu, il n’était pas rare qu’il fasse des choses complètement barrées, comme de vomir sur scène, voire même gore, à l’image de ses roulades sur du verre brisé. Une folie que la France découvrira dans un futur proche...

    En ce début d'année 1974, malgré leurs trois albums jusqu’ici sortis — « The Stooges » (1969) ; « Fun House » (1970) et « Raw Power » (1973) –, les membres du groupe ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Pire encore, ils sont en baisse de popularité. Tout en sachant qu’ils se sépareront bientôt, Iggy Pop, Ron Asheton (guitare basse), Scott Asheton (batterie) et James Williamson (guitare) accompagnés par Scott Thurston au piano, entament une courte tournée d’adieu. Elle sera chaotique et ponctuée de problèmes, principalement à cause de la consommation affolante d’héroïne des musiciens— un pléonasme en ce début des années 70.

    Cette ambiance va passer de délétère à dangereuse, après un concert particulier donné à Warren, une petite ville ouvrière du Michigan. Ce soir-là, Iggy and co se produisent devant un gang de bikers qui, bien entendu, n’a que faire de la performance du jour. Si les membres du Scorpions MC sont ici, c’est pour fêter l’arrivée d’une nouvelle recrue. Bref, le concert débute et dès les premières notes, les motards chauds comme leurs pots d’échappement ne cachent pas leur mécontentement.

    Dans la même veine que les précédents shows des Stooges, celui-ci est tout aussi bruyant et puissant. Trop, au goût des Scorpions, qui commencent à insulter le groupe avec véhémence. Plutôt que de subir, Iggy Pop agit. Connu pour son amour de la provocation, le chanteur répond et s’attaque littéralement à la foule. À chaque morceau, l’Iguane hausse le ton et gagne en vulgarité. Tout ça, jusqu’à ce qu’un des bikers alpague les Stooges pour leur demande de jouer Louie Louie, titre composé par Richard Berry en 1956, repris et popularisé par The Kingsmen en 1963. Requête acceptée… quoique.

    Pour satisfaire ce public aussi demandeur qu’emmerdeur, Iggy Pop se lance dans une réinterprétation unique de la chanson réclamée. Une version allongée à 45 minutes bien crades, pendant lesquelles le groupe joue encore et encore le riff principal tout en prenant le soin de balancer des invectives plus que directes aux membres du Scorpions MC. Exaspérée, la foule craque littéralement… Iggy Pop aussi. Le chanteur saute dans le public pour en découdre avec un biker.

    Sans grande surprise, l’Iguane se fait vite maîtriser. Par miracle, il peut retourner sur scène et jouer assez longtemps pour remplir le contrat d’origine et ainsi être payé. Le célèbre journaliste musical Lester Bangs était présent ce soir-là. Il dira plus tard : « Le public, composé en grande partie de motards, était inhabituellement hostile. Iggy, comme d’habitude, s’est nourri de cette hostilité, l’a absorbée, l’a rendue et l’a absorbée à nouveau dans une symbiose étrange et effrayante. »

    Le lendemain de cette affaire, le 9 février 1974, les Stooges doivent se produire au Michigan Palace de Detroit. À quelques heures de ce tout dernier concert d’avant séparation, Iggy Pop fait du… Iggy Pop. De passage par une radio locale, l’Iguane crache tout son venin contre le groupe de bikers de la veille, les conviant même à son concert du jour, histoire de vérifier « s’ils ont les couilles de venir ». Loin d’être tombée dans l’oreille dans un sourd, cette invitation osée sera honorée.

    Le soir du show, les motards se pointent avec un assortiment très varié d’objets à jeter sur la scène, notamment des glaçons, des poignées de bonbons, des œufs, du verre brisé, des cruches de bière remplies d’urine et même… des pelles. Sans crainte, les Stooges inaugurent leur prestation, comme à l’accoutumée avec détermination et envie. Et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le chaos s’installe dans la pièce.

    Iggy Pop est en grande forme et offre un spectacle énorme pendant lequel il nargue à souhait le gang des Scorpions. En conséquence, les projectiles cités plus haut sont balancés frénétiquement sur le groupe. Cette espèce d’intifada va durer jusqu’aux au revoir du chanteur : « Merci beaucoup à la personne qui a jeté cette bouteille en verre sur ma tête. Tu as failli me tuer, mais tu as encore raté ton coup. Essaie de nouveau la semaine prochaine. »

    Si aujourd’hui on vous raconte cette soirée unique en son genre, c’est parce que ce show a justement été enregistré. Capté par Michael Tipton, le concert est sorti deux années plus tard via le label français Skydog, sous la forme d’un album live intitulé « Metallic K.O. ». Devenu légendaire avec le temps, Lester Bangs a écrit de ce disque qu’il est « le seul album de rock où l’on peut entendre des bouteilles de bière se briser contre les cordes de la guitare ». Après cette nuit, il faudra attendre trois décennies avant de voir les Stooges se reformer.

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