Le jour où un gamin de 19 ans a remplacé Keith Moon en plein concert

Parmi les nombreux excès du batteur des Who, celui-ci est autant tragique que mythique. Face à l’incompétence de Moon à jouer de son instrument fétiche, la faute à une petite overdose des familles, le reste du groupe n’a pas eu d’autre choix que d’enrôler un jeune homme arraché des entrailles de la foule.
  • En 1972, pour la première fois depuis le début de leur carrière, les Who ne font pas de concert. Lorsqu’ils annoncent un nouvel album (“Quadrophenia”) suivi d’une tournée l’année suivante, cette dernière affiche immédiatement complet. Le groupe est de retour sur la route, alors que Keith Moon n’est pas vraiment en forme. Le batteur vient de se faire plaquer par sa femme et il enchaîne les destructions de chambres d’hôtel ainsi que les consommations excessives de drogues et d’alcool. Alors que les Britanniques remplissent le Cow Palace de San Francisco le 20 novembre 1973, Moon fait encore des siennes, jusqu’au moment où il s’effondre devant sa batterie au milieu du show.

    Ce jour-là, les Who interprètent leurs plus gros hits devant plus de 16 000 fans enragés. Parmi eux, on retrouve un certain Scot Halpin, mais on y reviendra plus tard. Le show se déroule à merveille, jusqu’à ce que les musiciens se mettent à jouer Won't Get Fooled Again. Arrivés à la fin du morceau, c’est le drame : Keith Moon est inconscient. La foule est complètement stupéfaite face à la situation. Pete Townshend prend la parole pour essayer de rassurer son public : “Il est dans les vapes. Je pense qu'il a mangé quelque chose qu'il n'aurait pas dû manger. C'est à cause de votre nourriture étrangère ! Nous allons juste le ranimer en le frappant dans l'estomac.

    En coulisses, des membres du staff réaniment miraculeusement Moon qui s'empresse de se relever pour remonter sur scène, après une petite piqûre de cortisone. Le batteur est inarrêtable et contre le gré du reste du groupe, il s’installe à nouveau derrière sa batterie, prêt à terminer son concert. Quelques minutes plus tard, rebelote : il tombe à nouveau dans les pommes devant les yeux ébahis de ses fans. Cette fois-ci, c’est terminé et les Who se retrouvent sans batteur. Une première solution s’offre à eux, dans les coulisses se trouve Artimus Pyle, le drummer de Lynyrd Skynyrd, groupe qui assurait la première partie des Anglais ce soir-là. Mais Pyle refuse, affirmant qu’il ne connaît aucune de leurs chansons. Une deuxième et ultime solution est alors envisagée : enrôler une personne du public qui sache jouer de la batterie, peu importe qui. 

    C’est à ce moment que Scot Halpin entre en jeu : il est poussé vers le devant de la scène par l'un de ses amis et il se retrouve projeté face à 16 000 personnes moitié en admiration, moitié en colère. Remplacer l'un des meilleurs batteurs de tous les temps n’est pas chose facile, surtout que Scot n’a que 19 ans au moment où il se produit au Cow Palace, sans vraiment comprendre ce qui est en train de lui arriver.

    Le jeune fan s’enfile un shot de Cognac dans le gosier et s’installe derrière la batterie de Keith Moon. “À partir de là, c'est un peu le vide. J'ai une cassette pirate que quelqu'un m'a donnée de ce concert. Ils me créditent de trois ou quatre chansons, mais elles sonnent beaucoup mieux que ce que je pensais avoir fait”, a avoué Halpin dans une interview des années plus tard. Une jam session endiablée et 30 minutes de show plus tard, le jeune batteur quitte enfin la scène, épuisé. “Pour vous dire la vérité, j'étais mort de peur. Tout était fou. La taille des tambours était ridicule, les toms étaient aussi gros que ma grosse caisse, toutes les cymbales se chevauchaient.” Une fois le concert définitivement terminé, Pete Townshend remercie Halpin avant de le laisser rejoindre son ami présent dans le public.

    Ce jour-là, les Who ont essayé de faire croire à leur audience que Keith Moon s’est évanoui à cause d’une intoxication alimentaire, mais la réalité est tout autre. Peu de temps avant le show, le drummer traîne en backstage avec une groupie qui lui propose de prendre un produit qui va l’aider à déstresser : un tranquillisant pour cheval, accompagné d’un verre de Brandy (sorte de Cognac anglais). Après son accident, il a dû rester en fauteuil roulant pendant deux jours sans pouvoir parler ni jouer de la musique. 

    Dans un entretien accordé à Rolling Stone en 1974, Scot Halpin n’a pas caché son admiration pour Moon, tout en vantant sa capacité à jouer non-stop : “Moi, je n'ai joué que trois numéros et j'étais mort.” L’ancien fan des Who a par la suite ouvert une salle consacrée aux concerts de rock en Californie, avant de décéder d’une tumeur au cerveau en 2008. Pete Townshend a rédigé un hommage qui a été lu pour son enterrement : “Scot est souvent dans mon esprit et toujours avec la plus grande gratitude et affection. Il a fait preuve d'un tel courage en remplaçant Keith ce jour fatidique. Il a joué de la batterie brillamment, il a souri et il est rentré chez lui…