2020 M10 16
En juillet 2019, dans un papier de Libération qui lui était consacré, Lionel Bensemoun, ex-patron du Baron à Paris, se voulait prescripteur : « Il faut créer des endroits hybrides, insoumis aux normes, où on peut fumer, se droguer, danser, discuter en sécurité. » Des mots optimistes, pleins d'espoir en l'avenir des discothèques, mais qui prennent aujourd'hui un tout autre sens. Voilà en effet plus de sept mois que les boites de nuit ont fermé leurs portes, et l'on sait désormais à quel point ces endroits ne sont pas que des lieux de fête, où les gens viennent s'oublier dans l'alcool.
Ils servent à s'évader, à rêver, à recréer un lien commun, à mettre de côté aussi bien le poids du regard que la pesanteur des journées passées entre le travail et les obligations familiales.
Malgré tout, il faut croire que dans ce fameux monde d'après, les gens qui dansent, s'amusent ou boivent des verres ne sont finalement rien d'autre que des improductifs. C'est du moins le sentiment provoqué par les dernières mesures prises par les politiques français qui, mercredi dernier, en instaurant un couvre-feu, ont décidé de mettre à nouveau en grande difficulté le monde de la nuit, oubliant que c'est souvent à cet instant que naissent les contre-cultures, que se tissent des relations, qu'apparaissent des idées créatives qui n'auraient pu émerger dans le brouhaha du jour.
Surtout, au-delà de toutes ces réflexions vaguement philosophiques, ce sont des hommes, des femmes, des entrepreneurs ou encore des salariés qui sont aujourd'hui mis en danger par l'instauration d'un tel couvre-feu, forçant une partie de la France (Aix-Marseille, Grenoble, Lille, Lyon, Montpellier, Rouen, Saint-Étienne et Toulouse) à se cloitrer chez eux et elles de 21 heures à 6 heures du matin.
#rennes Manifestation en cours sur la rocade depuis 7h30 ce matin : porte de Maurepas, le cortège de véhicules avance très lentement pic.twitter.com/eRLt8uGbP8
— Ouest-France 35 (@ouestfrance35) October 13, 2020
On sait que les sénateurs, dans la nuit de mardi à mercredi, ont tenté de défendre la cause des clubs et des discothèques. « Il s’agit de sauver des entreprises qui sont indispensables dans les grandes métropoles et les stations balnéaires », a notamment déclaré le sénateur LR Max Brisson, peut-être conscient que sur les 1600 boîtes de nuit françaises, 80 ont déjà fermé et 300 sont au bord du gouffre. Une tentative salutaire, mais malheureusement vaine. Si bien que les patrons de boîtes de nuit de l'ouest de la France n'ont pas hésité à investir le périphérique de Caen pour une opération escargot le jeudi 15 octobre.
La colère gronde, c’est certain. Mais les décisions du gouvernement d'Emmanuel Macron charrient d'autres certitudes, dont celle-ci : l'impasse dans laquelle se trouve actuellement le monde de la nuit, sacrifié au nom d'une urgence sanitaire et visiblement voué à poursuivre ce voyage au bout de l'ennui jusqu'en 2021.