L’histoire de la pochette acrobatique du "Island Life" de Grace Jones

Qui de mieux pour réaliser sa pochette d’album que son propre mari ? C’est le choix qu’a fait Grace Jones en 1985 pour son disque “Island Life”, réunissant tous ses plus gros tubes de l’époque. Jean-Paul Goude, son conjoint, s’est donc chargé de la cover en recyclant une image prise des années auparavant.
  • Goude et Jones n’ont cessé de collaborer ensemble durant leur relation, permettant à la chanteuse d’origine jamaïcaine de bâtir une esthétique qui lui est propre. Le Français a rencontré pour la première fois la chanteuse en 1977 alors qu’il est invité à un de ses concerts. Dès lors, il tombe fou amoureux non pas de la personne (du moins pas encore), mais de son style qu’il trouve unique en son genre. Le graphiste décide de travailler avec elle, jusqu’à en faire sa muse. Ce sera chose faite et les deux tourtereaux se retrouveront l’année suivante à l’occasion d’un shooting pour le New York Magazine. Ce jour-là, Jean-Paul Goude photographie ce qui deviendra la cover de “Island Life”.

    La position de Jones sur cette pochette est inaccessible pour le corps humain. L’origine de cette drôle de pose vient des cours de danse qu’a reçue Goude dans son enfance. Alors que l’on pourrait croire qu’il s’agit bel et bien d’une photographie, cette image a subi plusieurs retouches avant d’apparaître telle qu’on la connaît. Le graphiste voulait représenter sa femme en même temps de profil et de face comme sur un bas-relief égyptien. “Ce qui m'intéresse, c'est l'illusion de la réalitéaffirme le photographe, tandis que sa compagne valide son point de vue : “Ça me correspondait bien et je me sentais comme ça : athlétique, artistique et extraterrestre.” 

    Des années plus tard, Goude se livrera à propos de sa relation avec Jones dans ses mémoires So Far So Goude : “C'est avec cette photo d'elle que ma vie a pris un nouveau tournant. Jusque-là, j'avais toujours privilégié le travail au plaisir. Maintenant, je voulais le contraire. Mon souhait allait bientôt se réaliser, car j'allais vivre à un autre rythme : le sien !” Et c’est ce qu’il a fait. Le photographe a commencé à suivre la mannequin partout où elle allait, en prenant bien soin de toujours soigner son image.

    Ensemble, Jean-Paul Goude et Grace Jones collaborent sur une publicité pour Citroën, la pochette de “Nightclubbing” ou encore celle de “Slave To The Rhythm”, sorti la même année que “Island Life”. Grâce à l’aide de son nouveau petit copain, Jones franchit les barrières du mannequinat et les portes de la musique mainstream s'ouvrent à elle. La néo-diva fait son entrée dans le top 100 du Billboard américain seulement avec “Nightclubbing” en 1981, son cinquième album.

    Avant cela, elle avait du mal à se faire une place dans le paysage musical aux Etats-Unis, mais une fois que son image a été transformée, elle a filé vers le succès. Goude avait une vision très précise de ce qu’il voulait pour elle et il a surtout réussi à la mettre en place : “Elle n'est pas dupe, Grace est une opportuniste et elle savait que ma vision était bonne pour sa carrière. Au départ, elle s'est laissé faire, puis elle a soupçonné que je n'étais tombé amoureux que de son image, et c’était le cas ! C'est l'histoire de ma vie.” Une façon quelque peu étrange de parler de sa relation mais qui témoigne de son implication sans précédent dans la carrière de Jones. La pochette avec la photo prise en 1978 sort finalement en 1985 sur la compilation "Island Life".

    Aujourd’hui, il semblerait qu’il y ait de l’eau dans le gaz entre les deux artistes, puisque les pochettes réalisées par Goude ne sont plus présentes sur les plateformes de streaming. Island Records, le label derrière les plus gros succès de la chanteuse, a confirmé qu’il y avait un “problème de droits” autour de ces artworks, mais il n’y a pas plus de précision quant à leur retour sur Spotify et compagnie...

    Avec le temps, la pochette de “Island Life” est devenue l’image la plus culte de Grace Jones. Elle a été reprise jusqu’au XXIème siècle, notamment par Kylie Minogue sur la cover de “Fever” et dans le clip de Stupid Hoe de Nicki Minaj, sorti en 2012. Mais cet artwork est aussi le symbole de toute une esthétique que la chanteuse et son mari ont construit durant leurs longues années de collaboration. Aujourd’hui, la pochette de l’album est exposée au musée du MoMA à New York, histoire de la rendre encore plus élastique face au temps qui passe.